À quoi ressemble l’architecture japonaise conçue de 1995 à nos jours, autrement dit depuis l’effondrement de la bulle spéculative au début des années 1990 et après les deux grands séismes qui ont touché l’archipel, celui de Hanshin-Awaji, en 1995, et celui de la côte pacifique de Tohoku, en 2011 ? Cette question passionnante est le fil conducteur de cette exposition à la Maison de la culture du Japon concoctée par l’Architectural Design Association of Nippon, association de promotion de l’architecture contemporaine japonaise basée à Osaka, intitulée « Quand la forme parle, Nouveaux Courants architecturaux au Japon 1995-2020 ». Dans une scénographie simple et efficace, trente-cinq agences d’architecture nippones livrent leurs réponses à travers soixante-quatre projets décryptés par le biais de dessins, maquettes, photographies et films. Pour cette génération d’architectes nés après 1960, voire à la fin des années 1980, trois thématiques majeures les animent : une plus grande sensibilité au site, un nouveau rapport entre espace privé et espace public, enfin, une volonté de concevoir avec et pour la communauté.
En vigueur notamment durant la période postmoderniste, les formes autonomes et souvent extravagantes font aujourd’hui place à la recherche d’une inscription plus profonde dans l’environnement. Ainsi en est-il du Musée national d’Estonie, à Tartu, réalisé par Tsuyoshi Tane sur un terrain d’aviation jadis occupé par l’armée soviétique. Pour en conserver une mémoire (« sublimer cet événement historique douloureux », dixit Tane), la forme oblongue de l’édifice – 300 mètres de long – qui émerge des entrailles de la terre pour projeter sa façade vers le ciel, se prolonge, à l’arrière, par une place d’un kilomètre de long de même largeur que l’ancienne piste militaire, comme l’évoquent une vidéo et une maquette.
Une plus grande ouverture sur l’espace public est aussi de mise. On se souvient, dans les années 1970, de la multitude de maisons particulières introverties signées Tadao Ando. Dans la préfecture de Kanagawa, la Maison 8,5 de Ryutaro Saito à l’étonnant toit biseauté s’ouvre davantage sur la rue. Idem avec le temple de Chushin-Ji de Katsuhiro Miyamoto, dans la préfecture de Nagano, lequel mixe le frêle et le robuste : d’un côté, un épais toit de béton virevoltant fabriqué avec des technologies de génie civil (« j’ai pensé qu’il fallait que je fasse quelque chose qui résiste longtemps, un siècle ? Deux siècles ? », dixit Miyamoto) ; de l’autre, juste au-dessous, une structure en bois toute légère (« car les fonctions peuvent elles aussi changer dans le temps… »).
L’ARCHITECTE-DÉMIURGE A FAIT LONG FEU AU PROFIT D’UNE ARCHITECTURE « POST-CATASTROPHES » – ON PENSE AUX SÉISMES ET AUX TSUNAMIS –, PRENANT DAVANTAGE EN COMPTE LA DIMENSION COMMUNAUTAIRE
L’architecte-démiurge en tout cas a, semble-t-il, fait long feu au profit d’une architecture « post-catastrophes » – on pense aux séismes et aux tsunamis –, prenant davantage en compte la dimension communautaire. Au pied du mont Fuji, dans la préfecture de Shizuoka, le jardin d’enfants Muku de l’agence Tezuka Architects se compose d’une douzaine de pavillons en bois et verre autonomes, aux dimensions différentes, qui s’élèvent sans se toucher telles des bulles de savons et développent en leurs interstices des espaces sécurisés pour les enfants.
On l’aura compris, la grande (et bonne) nouvelle est que la capitale, Tokyo, n’est plus la seule à servir de terrain d’expérimentation à l’architecture contemporaine. L’ensemble de l’archipel, désormais, est un pourvoyeur de projets d’une extrême qualité. À preuve encore, avec les bains publics de Maruhon, perdus dans un petit village montagnard proche des sources thermales de Sawatari, dans la préfecture de Gunma. Un petit bijou ! Réalisés par le duo Kubo Tsushima, ils ont été aménagés à l’intérieur d’une auberge traditionnelle quadri-centenaire, l’espace étant scindé en deux par une structure en bois. Le plafond incurvé qui sépare les deux niveaux, se transforme, au 1er étage, en une ergonomique et confortable banquette, et permet à l’air, au rez-de-chaussée où se déploie le bain chaud, de circuler facilement, le tout sans ventilation artificielle. Autre délice, imaginé cette fois par l’agence Icada et érigé face à la mer intérieure de Seto, dans le département d’Hiroshima : une « cabane » pour un peintre et sa femme, merveilleusement baptisée La Maison des nœuds du bois. Le toit de cette demeure à très faible budget est fait de planches rustres maintenues par des cordes de chanvre bon marché. Les trous laissés par les anciens nœuds du bois laissent passer une myriade de rais de lumière naturelle. De l’art, dans une architecture « pauvre », d’instiller une richesse de l’espace intérieur.
-
« Quand la forme parle, Nouveaux Courants architecturaux au Japon 1995-2020 », jusqu’au 19 février 2022, Maison de la culture du Japon, 101 bis, quai Branly, 75015 Paris.