Alors que pour les galeries et les antiquaires, la situation est plus contrastée, les maisons de ventes en France se portent plutôt bien après une année 2020 difficile. Sotheby’s, qui arrive de peu en tête, progresse de 19,6 % comparé à 2019, véritable année « normale » de comparaison, avant que la pandémie ne grippe le marché de l’art. Deuxième, Christie’s fait un bond, lui, de 59 % ! Artcurial et Drouot, hôtel des ventes et non maison de ventes, reculent légèrement par rapport à 2019. Toujours du côté des maisons hexagonales, Millon, qui a vendu un tableau de Domenico Gnoli – un record du monde – à Drouot pour 8 millions d’euros, et Aguttes ont réalisé en 2021 leurs meilleures années, avec 81,7 millions d’euros pour le premier et 77,5 millions d’euros pour le second.
À l’évidence, acheteurs et vendeurs ont assimilé depuis 2020 le basculement en ligne de nombreuses ventes. Surtout, dans un contexte de pandémie persistante, enchérir depuis son écran s’est banalisé, d’où des salles de ventes moins fréquentées qu’avant le Covid. Sotheby’s, qui totalise cette année 424 millions d’euros, affirme que 93 % des enchères ont été portées en ligne, un chiffre incroyable ! « Beaucoup de lots importants ont été remportés au téléphone, mais les sous-enchérisseurs étaient online. Nous assistons à un tournant. Tout le monde s’est adapté, y compris à la diminution du nombre de catalogues imprimés », confie Mario Tavella, président de Sotheby’s France. Autre facteur de dynamisme : l’arrivée de nouveaux acheteurs (+37 %), particulièrement marquée dans des ventes très médiatiques dont celle des sculptures des Lalanne de Dorothée Lalanne qui a totalisé la somme folle de 81 millions d’euros et celle du mobilier et des souvenirs de Karl Lagerfeld, pour 18,2 millions d’euros. Pour expliquer les très bons résultats de 2021, Mario Tavella ne croit pas à un « effet report » de la part de vendeurs ayant différé les vacations, citant la collection de l’expert en art impressionniste Robert Schmidt, « signée l’été dernier et vendue ce mois de décembre », dit-il.
Chez Christie’s, qui engrange 420,8 millions d’euros, même constat, avec 35 % de nouveaux enchérisseurs. « En design par exemple, nous avons enregistré 16 % de nouveaux clients. Ainsi, un jeune homme de 28 ans a enchéri depuis la Floride sur des lots en vente chez nous à Paris à 10 000 euros », explique Cécile Verdier, présidente de Christie’s France. Cette maison a organisé 24 ventes de collections sur un total de 54 vacations, « une part élevée qui indique plus de confiance de la part de ceux qui ont mis une vie à rassembler ces œuvres et qui s’en séparent », note Cécile Verdier. Avec un total de 66 millions d’euros, record absolu pour une vente d’arts premiers, la collection Michel Périnet a été un temps fort de l’année. Christie’s a aussi tapé le coup de marteau le plus élevé de l’année en France, 14,5 millions d’euros pour La Vengeance de René Magritte, issu de la collection Francis Gross. En peinture ancienne, il a aussi établi un record pour Chardin, à 7 millions d’euros.
Chez Artcurial, l’année s’achève avec un total de 169 millions d’euros, avec sept enchères millionnaires. La maison du Rond-Point des Champs-Élysées a dispersé pas moins de 78 collections. « Dans un environnement encore complexe, notre maison de ventes aura réussi à poursuivre son développement et conforté sa place de grand acteur européen du marché de l’art », a déclaré Nicolas Orlowski, PDG du groupe Artcurial. Parmi ses plus belles enchères, Artcurial a vendu une encre de Chine du Lotus bleu d’Hergé pour 3,2 millions d’euros, et un spectaculaire tableau de Dalí pour 2,4 millions d’euros.
Toutefois, dans une volonté de rendre leurs bilans plus attractifs, d’être encore mieux « classés » et donc valoriser leur « marque » aux yeux des clients vendeurs, les principales maisons de vente n’hésitent pas à embellir leurs chiffres. Sotheby’s intègre les ventes de voitures parisiennes de RM Sotheby’s, société distincte de Sotheby’s France et dont le siège est au Canada. Christie’s, qui n’a pourtant pas signé le procès-verbal de la vente, mais accueilli et organisé la vacation, comptabilise le manuscrit Einstein-Besso (11,6 millions d’euros), apporté par Claude Aguttes dans le cadre de la dispersion Aristophil. Artcurial, quant à elle, intègre la TVA contrairement aux deux premiers… Dans le cas du manuscrit comme dans celui d’un tableau de Van Gogh, Scène de rue à Montmartre, vendu 13 millions d’euros, cette fois au procès-verbal de Sotheby’s, il s’agit d’œuvres livrées en cadeau par des commissaires-priseurs français – Fabien Mirabaud pour le Van Gogh. Au-delà de ces vétilles, le constat est là : les enchères en France repartent bien de l’avant.