Le travail de Katharina Sieverding fait écho aux causes sociétales, diplomatiques et culturelles de ces cinquante dernières années, qu’elles soient allemandes ou à l’échelle internationale. Cet engagement va de pair avec une contemporanéité simultanée des moyens techniques disponibles : photographie, film et vidéo dans le courant des années 1970, digitalisation et projection d’images numériques par la suite. Et même, pour les œuvres plus récentes, recours aux vues depuis des satellites fournies par la NASA.
Le chemin parcouru pour cette adepte de la solarisation, mais surtout des technologies successives de son époque, est gigantesque, entre les introspections identitaires et féministes de ses débuts et les questions écologiques que l’artiste se pose aujourd’hui. Ainsi, la projection monumentale d’un soleil bleu sur la façade du musée Burda – qui donne son titre à l’exposition –, elle la définit comme « un portrait du soleil qui aborde les questions sociales et écologiques actuelles. Il s’agit notamment de la nature limitée des ressources de notre planète, des formes de production d’énergie ou encore de l’expansion des habitats ».
Il y a toujours eu chez Katharina Sieverding adéquation entre les moyens et les médiums utilisés et la portée du message qu’elle entend conférer à ses œuvres. Elle fut ainsi une des premières à s’intéresser aux questions de genre avec ses autoportraits des années 1970 très justement intitulés Transformer Cyan Solorisation (1973-1974), œuvre contemporaine de Motorkamera où elle se met en scène avec son compagnon, l’artiste Klaus Mettig, accentuant ainsi leur allure androgyne. Pour rappel, nous sommes à l’époque de la fameuse exposition « Transformer » (Kunstmuseum de Lucerne, 1974), pionnière pour la question de genre dans les arts contemporains.
ELLE FUT UNE DES PREMIÈRES À S’INTÉRESSER AUX QUESTIONS DE GENRE AVEC SES AUTOPORTRAITS DES ANNÉES 1970
Dès 1975, l’artiste opte pour le grand format (avec des dimensions comparables aux panneaux d’affichage de 20 m2), modèle inusité alors pour le support photographique, mais qui bénéficie ici des volumes généreux du musée Burda. Katharina Sieverding y mêle surimpression de ses propres images – dont les autoportraits (qu’elle continue de pratiquer et qui ont contribué à sa notoriété) – et celles glanées ailleurs (dans la presse, puis sur Internet). En découlent de surprenants patchworks visuels composés de deux à trois plans où les images fusionnent comme pour complexifier leur interprétation. L’artiste peut apparaître comme une boulimique de la photographie tant dans ses accumulations séquentielles que dans les formats monumentaux. Toutefois, elle n’hésite pas à affirmer : « Le fait que je photographie n’intéressait pas du tout [l’assemblée]: je voulais être présente, participer, interagir, consulter et aussi faire face et soutenir les revendications nécessaires ». Une allusion à la période où elle était l’élève de Joseph Beuys (1967-1969) et où elle documentait les actions à l’intérieur et à l’extérieur de la Staatliche Kunstakademie de Düsseldorf où celui-ci enseignait.
ÉLÈVE DE JOSEPH BEUYS, ELLE DOCUMENTAIT LES ACTIONS À L’INTÉRIEUR ET À L’EXTÉRIEUR DE LA STAATLICHE KUNSTAKADEMIE DE DÜSSELDORF
Sismographe des événements, l’artiste a tour à tour traité de sujets tels que les actes terroristes de la Fraction armée rouge en Allemagne, du racisme aux États-Unis, du maoïsme et de ses dérives, de la guerre civile en Syrie, de la violence faite aux femmes partout dans le monde ou encore du changement global à l’échelle planétaire. En puisant en partie dans les images véhiculées par les mass media et en les agrandissant sous forme de tableaux, Katharina Sieverding ne cesse enfin d’alerter sur les processus de (dé)formation de l’opinion.
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« Katharina Sieverding, Regarder le soleil à minuit », jusqu’au 9 janvier 2022, Museum Frieder Burda, 8b Lichtentaler Allee, Baden-Baden. Catalogue, éd. Museum Frieder Burda / Wienand Verlag, 144 p., allemand-anglais, 24 euros.