L’exposition déployée au musée des arts décoratifs, à Paris, réunit quelque 500 pièces : objet, meuble, affiche, film… Le moins que l’on puisse dire est que la présentation est disparate, éparpillée par petits bouts façon puzzle aux quatre coins du musée, « dynamitée », dispersée, sinon ventilée au sein des collections existantes. D’ailleurs, de peur que les visiteurs ne se perdent, trois repères distinctifs – un spot rose, un tube lumineux orange ou un tabouret rose – indiquent les pièces qui font partie du parcours.
L’exposition démarre sur les chapeaux de roues, au 3e étage, avec deux salles façon Period Rooms, une plongée au tournant des Swinging Sixties/Seventies. Cette production siglée Prisunic est due à la vision d’une personne en particulier, la styliste Denise Fayolle (1924-1995), entrée dans la maison en 1953 pour y développer le secteur de la confection, puis propulsée, quatre ans plus tard et durant une décennie, à la tête du « Bureau du style et de la publicité » de la marque. Nourrie aux principes du designer Raymond Loewy – son célèbre ouvrage La laideur se vend mal a paru en France en 1953 –, Denise Fayolle cisèle un slogan devenu lui aussi fameux (« Le beau au prix du laid ») et, avec un œil des plus acérés, instaure moult collaborations extérieures avec des créateurs parmi les plus novateurs du moment. Les deux Period Rooms en regorgent. Terence Conran imagine non pas une Coffee table, mais un astucieux « coffre-table » en bois, et Marc Held un lit moulé en plastique et fibre de verre, avec chevets et luminaires intégrés. L’artiste Jacques Tissinier, lui, use de la technique de l’acier émaillé habituellement employée pour les panneaux de signalisation pour habiller un ensemble tabouret/table/banc. Tandis que Gae Aulenti conçoit des fauteuils de jardin en acier tubulaire, la gamme Locus Solus, qui connaîtra la notoriété grâce au film de Jacques Deray La Piscine. Côté esthétique, moult influences se télescopent – le nouveau design transalpin, le fonctionnalisme du Bauhaus, la culture pop d’outre-Manche – et la couleur s’affiche à foison. Comme s’en souvient la designeuse Danièle Quarante, aujourd’hui âgée de 83 ans, dont on expose le siège empilable Balthazar, en plastique thermoformé : « C’était joyeux, nous avions l’avenir devant nous. L’ambiance Louis XV avait prédominé jusque-là et, nous, nous voulions refaire le monde. Nous souhaitions, tous, être édité par Prisunic, suivre ce principe défendu par Denise Fayolle, "le beau au prix du laid". De nouveaux matériaux arrivaient, nous rêvions complètement. C’était merveilleux ! » À l’époque, ce fut, en tout cas, une révolution, tant au rayon « mode » qu’à celui de l’« ameublement ».
GAE AULENTI CONÇOIT DES FAUTEUILS DE JARDIN EN ACIER TUBULAIRE, LA GAMME LOCUS SOLUS, QUI CONNAÎTRA LA NOTORIÉTÉ GRÂCE AU FILM DE JACQUES DERAY « LAPISCINE »
Comme le suggère le titre – « de Prisunic à Monoprix… » –, la présentation, peut-on croire, relierait les destins de ces deux enseignes de la distribution : Prisunic – celle qui inventa, en 1931, le « magasin de vente à prix unique » – et Monoprix. Or, concrètement, il n’en est rien. Dès que l’on quitte les deux Period Rooms Prisunic pour aller explorer les autres étages – 5e, 6e, 7e, 8e –, en majorité consacrés à Monoprix, l’exposition se délite, le propos disparaît. Au 5e étage, hormis un pan d’affiches publicitaires – dont les plus puissantes, chronologiquement parlant, restent les premières : celles en noir et blanc signées Roman Cieslewicz et celles en couleur de Friedemann Hauss, pour Prisunic –, se produit même l’impensable : le supermarché remplace le musée. Ici, une vitrine emplie de caddies à roulettes.
CÔTÉ ESTHÉTIQUE, MOULT INFLUENCES SE TÉLESCOPENT– LE NOUVEAU DESIGN TRANSALPIN, LE FONCTIONNALISME DU BAUHAUS, LA CULTURE POP D’OUTRE-MANCHE – ET LA COULEUR S’AFFICHE À FOISON
Là, une flopée de parapluies suspendus en l’air. Plus loin, une vitrine réfrigérée ou des « stands » arborant des collaborations récentes de Monoprix avec des créateurs actuels. Ailleurs, une poignée de tabourets a pris la place de pièces du fonds « officiel ». Aucun fil conducteur ne relie ces différentes « interventions ». Pas davantage d’explications ou d’archives complémentaires. Le summum est atteint au 8e et ultime étage. Dans l’« espace Jean Prouvé », dévolu au mobilier que le designer a réalisé pour la cité universitaire d’Anthony (Hauts-de-Seine), sont mis en scène quatre mannequins roses fluo vêtus de « Petites robes noires » (Monoprix, 2013). Pis : étagères et plans de travail de la cuisine dessinée par Charlotte Perriand pour l’unité d’habitation de Marseille de Le Corbusier sont truffés de paquets de pâtes, boîtes de conserve et autres ustensiles ou vaisselle griffés Monoprix. On est plus près d’une présentation de presse ou d’une campagne publicitaire que d’une exposition de musée !
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« Le design pour tous : de Prisunic à Monoprix, une aventure française », jusqu’au 15 mai 2022, Musée des arts décoratifs, 107 rue de Rivoli, 75001 Paris.