Une nouvelle exposition inspirée de L’Enfer, la première partie du poème épique de Dante Alighieri, La Divine Comédie (1320), arrive à point nommé : « Le siècle dans lequel nous vivons est devenu l’enfer », affirme ainsi son commissaire, Jean Clair. L’exposition, qui se tient aux Scuderie del Quirinale à Rome, marque le 700e anniversaire de la mort de Dante, le grand poète national italien. Elle présente plus de 200 œuvres du Moyen Âge à nos jours, l’enfer sous toutes ses formes, des représentations démoniaques de la Renaissance de corps brûlant dans le feu et le soufre (Pieter Huys, Inferno, 1570), aux expériences de l’enfer sur terre, comme les camps de concentration de la Seconde Guerre mondiale (Boris Taslitzky, Le Petit Camp à Buchenwald, 1945).
« LA CARTE DE L’ENFER » (1480-1490) DE SANDRO BOTTICELLI EST PRÊTÉE PAR LA BIBLIOTHÈQUE APOSTOLIQUE VATICANE
Parmi les prêts importants figure un modèle en plâtre de La Porte de l’Enfer d’Auguste Rodin, conçu dans les années 1880. Ce moulage, conservé à la Fonderie Coubertin à Paris, est prêté par le musée Rodin. « La taille exceptionnelle de cette œuvre a fait de cette exposition l’un des défis organisationnels et logistiques les plus ambitieux de l’histoire des Scuderie del Quirinale », a déclaré un porte parole de l’exposition. La Carte de l’Enfer (14801490) de Sandro Botticelli, qui représente l’enfer sous la forme d’un cône inversé se rétrécissant jusqu’au centre de la Terre, sera ensuite exposée uniquement les premiers jours de l’exposition (elle sera remplacée par un facsimilé). L’œuvre est prêtée par la Bibliothèque apostolique vaticane, qui « a exclu de prêter les [autres] illustrations de La Divine Comédie de Botticelli en raison de leur extrême fragilité », ajoute le porte-parole.
Dans un entretien accordé à Il Giornale dell’Arte, l’édition italienne du groupe The Art Newspaper, Jean Clair affirme que l’âge d’or de l’enfer dans l’art se situe entre le XIe et le XIVe siècle, lorsque prédominaient les miniatures et autres iconographies montrant le diable « tel une bête à la bouche béante ». Les artistes des XIXe et XXe siècles, à l’instar d’Eugène Delacroix, ont repris le sujet, mais la représentation traditionnelle de l’enfer – feu, soufre et corps à l’agonie – a largement disparu, explique le commissaire. Selon lui, aucune image de l’exposition ne traite de la pandémie de Covid 19, faute d’avoir « suffisamment de recul par rapport à l’expérience du confinement ».
« L’ÉGLISE CROIT TOUJOURS AU MAL, MAIS LA FANTASMAGORIE DE L’ENFER ET DE SES DIABLES, BIEN QUE TERRIBLE, SEMBLE ENFANTINE ET DÉPASSÉE »
Jean Clair explique également pourquoi le sujet est si controversé, en particulier à Rome : « L’Église catholique romaine elle-même reste silencieuse sur le sujet. Le pape François est très peu intervenu, se limitant à dire il y a des années : “nous ne devons pas abandonner l’idée de l’enfer’’… l’Église croit toujours au mal, mais la fantasmagorie de l’enfer et de ses diables, bien que terrible, semble enfantine et dépassée. » Et d’ajouter ceci sur la forme que pourrait prendre l’enfer aujourd’hui : « La disparition de la foi sous toutes ses formes, que ce soit en Dieu ou dans un système politique, a donné lieu au gigantisme [des œuvres de format monumental] dans l’art d’une part, [et] d’autre part à la dérision, au sarcasme et à la vulgarité à un niveau jamais atteint auparavant. Je pense naturellement à Damien Hirst et Jeff Koons, par exemple, à qui l’on doit l’installation récente de Bouquet of Tulips (2019) dans les jardins des Champs-Élysées près du Petit Palais, à Paris. L’art aujourd’hui est devenu impuissant et ne véhicule plus d’espoir.»
-
« Inferno », du 15 octobre 2021 au 9 janvier 2022, Scuderie del Quirinale, Rome.