Le Jardin d’Afrique – un mémorial et site funéraire conçu par l’artiste algérien Rachid Koraïchi en hommage aux migrants qui se sont noyés dans la Méditerranée –a été inauguré le 9 juin lors d’une cérémonie à laquelle a assisté Audrey Azoulay, directrice générale de l’Unesco.
Le projet dénonce notamment l’attitude des instances internationales qui, selon Rachid Koraïchi, sont indifférentes à la disparition tragique des migrants. Le monument a été inauguré alors que plus de 800 personnes ont trouvé la mort en traversant la Méditerranée depuis le début de l’année, contre 350 l’an passé, selon les chiffres de l’Organisation internationale pour les migrations (OIM), une agence des Nations unies basée à Genève.
PLUS DE 800 PERSONNES ONT TROUVÉ LA MORT EN TRAVERSANT LA MÉDITERRANÉE DEPUIS LE DÉBUT DE L’ANNÉE
Lors de la cérémonie à Zarzis, en Tunisie, un rabbin, un imam et l’archevêque de Tunis, entre autres, ont déambulé sur le pavage bordé de bosquets de plantes parfumées. Audrey Azoulay a offert une petite sculpture métallique intitulée L’arbre de la paix, qui a été installée dans le jardin. Mais l’absence d’ambassadeurs africains à la cérémonie témoigne du manque d’intérêt porté au décès des migrants, a déclaré Rachid Koraïchi à The Art Newspaper. « Ils sont censés être responsables mais n’assument aucune responsabilité pour ces pertes tragiques », affirme l’artiste.
Le site permettra aux migrants, dont un grand nombre n’a pu encore être identifié, de recevoir une sépulture digne, explique Rachid Koraïchi. Un « beau tapis » de dalles ornées de décorations mène à une chapelle interconfessionnelle, une morgue pouvant accueillir 16 corps et 200 tombes dans lesquelles plusieurs dépouilles peuvent être superposées. Beaucoup contiennent déjà des corps refusés par les cimetières publics locaux, surchargés.
Avant l’inhumation, le personnel du site obtiendra pour chaque personne décédée son génotype obtenu après un séquençage ADN réalisé par un laboratoire de médecine légale en ligne. Ce code génétique sera gravé sur la pierre tombale de chaque migrant, avec le sexe de la victime et la description des vêtements qu’elle portait lorsqu’elle a été découverte, dans l’espoir de permettre une identification future.
CE PROJET EST NÉ APRÈS AVOIR LU DES INFORMATIONS SUR LES CORPS ÉCHOUÉS SUR LA CÔTE
Ce projet autofinancé est né après qu’Aicha Koraïchi, la fille de l’artiste, a lu sur les réseaux sociaux des informations sur les corps échoués sur la côte près de Zarzis. Rachid et Aicha Koraïchi sont venus visiter la ville en décembre 2018, et ont été consternés par ce qu’ils y ont vu. « Il y avait des montagnes de cadavres le long d’une très longue plage, raconte Rachid Koraïchi. Les dépouilles y sont transportées par les courants marins et elles étaient ensuite ramassées par des camions poubelles et déposées sur des décharges infestées de chiens et de rats. »
LE SITE RESTERA UN PHARE DURABLE DE L’HUMANITÉ FACE À LA SOUFFRANCE
L’artiste a alors acheté un terrain de 2 500 mètres carrés et a réuni une équipe pour y aménager le site en son absence, revenant tous les six mois pour vérifier l’avancement des travaux. Les ouvriers ont surélevé le niveau du sol grâce à du sable afin de pouvoir y creuser de profondes tombes sans atteindre la nappe phréatique. Même lorsque toutes les sépultures seront occupées, le site restera un phare durable de l’humanité face à la souffrance, affirme Rachid Koraïchi. L’artiste dit avoir essayé de créer un « paradis », auquel on accède par une imposante porte jaune représentant le soleil ardent se détachant sur la blancheur d’un désert aride. Les visiteurs doivent se baisser pour entrer par une porte basse, en signe de déférence envers les morts.
À l’intérieur, cinq oliviers représentent les cinq piliers de l’Islam, et 12 vignes les 12 apôtres de Jésus Christ. Des oranges amères utilisées pour la marmelade suggèrent la dureté de la mort et la douceur de l’au delà, tandis que les grenades, avec leurs nombreuses graines, représentent la société. Du jasmin de Perse, des bougainvilliers d’un rouge profond et des cactus à floraison nocturne adoucissent l’air.
L’artiste – dont les sculptures, les gravures et les céramiques ont été exposées à la Biennale de Venise et au Museum of Modern Art à New York – n’a pas souhaité révéler le coût du projet. « Construire ce site, c’est comme offrir un cadeau à un être cher, dit-il. Ce n’est pas le prix qui compte, c’est surtout votre implication dans la démarche qui importe ».