La manifestation réunit 300 pièces issues des collections de l’institution. « Derrière ces objets courants, qui ne manquent pas de produire une impression de déjà-vu tant ils peuplent notre quotidien, se cache l’essence même du design. Esthétiques et fonctionnels, ils répondent toujours à un besoin identifié dans notre société, estime Imke Plinta, commissaire de l’exposition. Mon propos est non pas de mystifier le design, mais, au contraire, de le démystifier. Les objets sont faits pour être utilisés. »
ESTHÉTIQUES ET FONCTIONNELS, LES OBJETS RÉPONDENT TOUJOURS À UN BESOIN IDENTIFIÉ DANS NOTRE SOCIÉTÉ
La présentation, qui en profite, par moments, pour vanter la « fibre régionale », débute en fanfare – avec force pièces et documents – par une période, l’après-Seconde Guerre mondiale, riche en transformations tous azimuts. L’époque est notamment abordée à travers un cas pour le moins local : la ville de Firminy, sise à quelques encablures au sud-ouest de Saint-Étienne. Le maire de la commune de 1953 à 1971, Eugène Claudius-Petit, n’est autre que l’initiateur d’un projet baptisé « Firminy-Vert » s’inspirant, sous la houlette de Le Corbusier, des principes urbanistiques de la Charte d’Athènes. Dès les années 1950, l’édile fait appel au photographe Ito Josué pour documenter les taudis et autres habitations insalubres, dont on peut voir ici quelques clichés, avant de lui passer commande d’une campagne sur la ville « moderne » et ses édifices flambant neufs, à commencer par les écoles ou l’« unité d’habitation » corbuséenne. À la mairie, le propre bureau de Claudius-Petit, comme le montre une photographie, se pare d’une table de Jean Prouvé, d’une chaise de Pierre Guariche ou d’un luminaire à bras modulables de Serge Mouille. On ne saurait être plus direct quant à cet éloge d’un mobilier imaginé par des designers et appelé à symboliser le renouveau de l’esthétique du quotidien. Idem, plus loin, avec un espace quasi monographique consacré à l’architecte d’intérieur Michel Mortier (1925-2015). Outre des croquis et des gouaches, aux perspectives bariolées, sont présentés plusieurs meubles, tel ce judicieux programme de rangements cubiques combinables en bois aggloméré laqué, WR 392, datant de 1970. Photographies, dessins, meubles et objets se complètent à l’envi pour planter le décor. Ce ne sera plus le cas après.
L’exposition remonte ainsi le temps, ou presque, en fonction du fonds muséal, faisant fatalement des « sauts » historiques par manque ou absence de pièces pertinentes, voire quelques digressions parfois osées. Ainsi en est-il, par exemple, au rayon Sixties, de ce fauteuil Orange Slice signé Pierre Paulin, étrangement mis en regard avec des pièces conçues, au XXIe siècle, par les designers François Bauchet et Éric Jourdan. Hormis leurs attaches « stéphanoises », tous deux ont été enseignants à l’École supérieure d’art et de design de la ville et le second en est même devenu, depuis l’an passé, le directeur – serait-ce alors la carte « locale » que l’on veut mettre en avant ? –, rien, ni en termes de style, ni en termes de fabrication ne relie un tant soit peu ces productions.
L’EXPOSITION REMONTE LE TEMPS, OU PRESQUE, EN FONCTION DU FONDS MUSÉAL
À partir de cet instant, ce type de « grains de sable » désoriente. D’un côté, s’exhibent quelques pièces solitaires – tels la chaise longue Century d’Andrea Branzi ou le sac à main en agneau plongé et bois laqué Pachetto d’Ettore Sottsass –, dont on peine à trouver la pertinence. De l’autre et à l’inverse, mais le résultat est identique, s’exposent des familles entières d’objets : fers à repasser, machines à coudre, moulins à café, ordinateurs… Dans un cas comme dans l’autre, le visiteur perd le fil du propos.
On pourra, certes, se délecter face à ce « robot multi-usages » et sa panoplie d’accessoires, méthodiquement accrochés sur un panneau façon atelier de garagiste, ou devant cette joyeuse ribambelle d’appareils électroménagers – grille-pain, presse-agrumes, hachoir, yaourtière, couteau électrique, friteuse, etc. – imaginée par un tandem de designers alors phare, Yves Savinel et Gilles Rosé, pour la Société d’emboutissage de Bourgogne (autrement dit… « SEB »), dont le rêve était de rendre plausible le « confort moderne ».
RÉSUMER UN SIÈCLE ET DEMI DE CRÉATION DE LA CHAISE AVEC UNE DOUZAINE DE SPÉCIMENS DEMEURE UNE GAGEURE
En revanche, résumer un siècle et demi de création de la chaise avec une douzaine de spécimens – dont des items non sériels comme l’assise de l’artiste néerlandais Joep Van Lieshout – demeure une gageure. L’exposition montre, ici, ses limites : un fonds unique ne peut parfois, à lui seul, raconter une histoire bien plus grande que lui.
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« Déjà-vu, le design dans notre quotidien », jusqu’au 22 août, Musée d’art moderne et contemporain, rue Fernand-Léger, 42270 Saint-Priest-en-Jarez.