Depuis l’ouverture en 2017 du Louvre Abu Dhabi, avec son spectaculaire bâtiment signé par l’architecte Jean Nouvel, la question se pose de savoir lequel des autres musées et institutions culturelles annoncés par le gouvernement local en 2007 ouvrira ensuite. Tous s’inscrivent dans le vaste projet visant à faire de l’île de Saadiyat le plus grand quartier culturel de la région s’étendant du Maroc à la Chine.
Il est désormais confirmé qu’il s’agira du Zayed National Museum (ZNM). Ce bâtiment, doté de cinq structures de verre vertigineuses en référence aux plumes des ailes d’un faucon, a été conçu entre 2007 et 2010 par l’agence d’architecture britannique Foster + Partners. Son directeur, l’archéologue australien Peter Magee, a été discrètement nommé en juillet 2019. Depuis le début de l’année, l’institution dispose d’une directrice des collections et de la conservation, en la personne d’Eleni Vassilika, ancienne directrice du musée des antiquités égyptiennes de Turin, et d’une équipe de professionnels de musées émiratis. Sur le chantier, le bâtiment est sorti de terre et Peter Magee indique que le projet d’accrochage du rez-de-chaussée et des cinq « capsules » à l’intérieur des tours est bien avancé.
Le Département de la Culture et du Tourisme (DCT), l’autorité de tutelle de l’institution, ne veut cependant pas s’avancer sur une date de fin de chantier compte tenu de l’important retard pris par rapport aux prévisions initiales de 2007 : le Louvre Abu Dhabi a ouvert avec sept ans de retard ; le ZNM lui-même devait ouvrir en 2013, tandis que l’inauguration du Guggenheim Abu Dhabi, qui était prévue pour 2012, est désormais repoussée à l’horizon 2022-2023. En ce qui concerne ce dernier, Richard Armstrong, le directeur du Solomon R. Guggenheim Museum and Foundation, ne souhaite pas s’exprimer sur le sujet. Un porte-parole du DCT indique que de nombreuses œuvres acquises pour constituer ses collections sont prêtées à des institutions locales et internationales telles que le Louvre Abu Dhabi, le Walker Art Center de Minneapolis et la Menil Collection à Houston.
Ces retards sont principalement imputés aux aléas de l’économie mondiale (la crise financière de 2008 et aujourd’hui la pandémie de Covid-19), au prix du pétrole, qui a plongé de 110 dollars le baril en 2012 à un peu plus de 50 dollars en 2014, et à la guerre menée par les Émirats arabes unis à partir de 2015 au Yémen. Cette dernière fut le premier grand conflit de ce jeune pays, ses premières pertes humaines importantes, et un choc pour cette nation qui a conduit, en 2016, à l’édification en un temps record d’un imposant mémorial consacré aux victimes émiraties de cette guerre, réalisé par l’artiste britannique Idris Khan. Non seulement cet engagement militaire a représenté pour les Émirats arabes unis un budget annuel estimé à 16 milliards de dollars, mais le conflit a focalisé durant cette période toutes les préoccupations, détournant Abou Dhabi de ses aspirations culturelles. En 2018, cependant, cette guerre a commencé à être considérée comme un bourbier et en 2019, les Émirats arabes unis ont procédé au retrait de leurs troupes du Yémen.
LE REZ-DE-CHAUSSÉE DU MUSÉE SERA CONSACRÉ À L’HISTOIRE PERSONNELLE ET POLITIQUE DE CHEIKH ZAYED BEN SULTAN AL-NAHYAN (1918-2004)
Le 12 mars 2018, le signe du retour à l’ordre du jour des projets de construction de nouveaux musées est apparu avec l’annonce par le dirigeant de fait d’Abou Dhabi, le prince héritier Mohammed ben Zayed, d’un plan de relance de 13,6 milliards de dollars, dont 35 % destinés à renforcer le statut d’Abou Dhabi en tant que destination culturelle de premier plan. En mars 2019, Saif Ghobash, le sous-secrétaire du DCT, a déclaré au quotidien d’Abou Dhabi The National que les chantiers du ZNM et du Guggenheim étaient toujours en cours et que « tous les autres projets [de l’île de Saadiyat] étaient lancés à plein régime », en visant les marchés russe, chinois, saoudien, indien et national.
Peter Magee a expliqué à The Art Newspaper que le rez-de-chaussée du musée sera consacré à l’histoire personnelle et politique de Cheikh Zayed ben Sultan Al-Nahyan (1918-2004), qui a unifié les sept émirats composant les Émirats arabes unis, constitués en tant que pays en 1971, et qui en a été son vénéré premier président.
La suite du parcours commencera par l’histoire de la région. Cheikh Zayed était lui-même intéressé par ses vestiges archéologiques, tout comme le prince héritier. Rien de surprenant donc à ce qu’un archéologue ait été choisi pour être le premier directeur du musée. « L’interaction entre la région et le reste du monde a été beaucoup plus importante que ce qui est généralement reconnu, explique Peter Magee, qui travaille dans les Émirats arabes unis depuis 30 ans. Elle s’est développée en cercles concentriques : d’abord dans le golfe Persique il y a environ 7 500 ans ; il y a 5 000 ans, de l’autre côté de la mer, vers le sous-continent indien ; il y a 3 000 ans, avec la domestication des chameaux, dans la péninsule arabique ; et vers la Méditerranée il y a environ 2 000 ans – nous avons retrouvé du verre romain ici, aux Émirats arabes unis ».
Il sera bien sûr pleinement fait appel à la technologie numérique, précise-t-il, et il n’y aura pas de limite temporelle, mentionnant le satellite émirati Hope en orbite autour de la planète Mars depuis février. Une section entière sera consacrée à l’Islam, avec un accent mis sur la tolérance religieuse – l’une des convictions les plus fortes de Cheikh Zayed – dont les témoignages subsistent dans la région, comme l’attestent les vestiges du monastère chrétien nestorien et la pierre tombale juive trouvée aux Émirats arabes unis.
En ce qui concerne l’acquisition des œuvres, Peter Magee indique simplement que l’institution a une « approche à plusieurs facettes, complétée par des prêts négociés auprès de grands musées ». Parmi ceux-ci, figure le British Museum, avec lequel le ZNM a collaboré entre 2009 et 2017, avant la signature d’un accord en 2018. Ce dernier prévoit que le musée londonien prêtera des pièces (moyennant rétribution) à Abou Dhabi tout en rebaptisant l’une de ses salles en l’honneur de Cheikh Zayed. Le développement durable et environnemental sera l’une des autres thématiques majeures de l’accrochage. Le bâtiment lui-même a adopté un modèle local traditionnel de refroidissement de l’air : en se réchauffant, ses tours agissent comme des cheminées thermiques, attirant les courants froids vers le haut du musée.
UNE SECTION ENTIÈRE SERA CONSACRÉE À L’ISLAM,AVEC UN ACCENT MIS SUR LA TOLÉRANCE RELIGIEUSE, DONT LES TÉMOIGNAGES SUBSISTENT DANS LA RÉGION
Sur la question des droits des ouvriers sur le chantier, Peter Magee affirme qu’il n’est pas impliqué dans le processus de construction, mais que le DCT « reste très attentif à ce qu’ils soient bien traités ». Outre son rôle de monument national et d’attraction touristique, le ZNM aura aussi pour vocation de sensibiliser les jeunes Émiratis aux valeurs de Cheikh Zayed, à l’histoire de leur pays et de la région, mais aussi aux métiers rattachés aux musées. Peter Magee souhaite tout particulièrement travailler avec les Émiratis plus âgés, afin que leurs témoignages ne soient pas perdus, et faire du musée un centre d’archives, une bibliothèque et un lieu de recherche. « Ce musée est pour le peuple, c’est un musée du peuple », souligne-t-il.