Dans ce livre au format allongé propre aux albums (de photos ou de cartes postales), avec ses près de cinq cents pièces reproduites en couleurs et souvent grandeur nature, Carole Boulbès démontre – et c’est son premier apport – combien les cartes postales ont fait l’objet, à l’époque, d’une production massive, d’une surproduction même, et d’un engouement populaire remarquable. Au fil des pages, on découvre, deux décennies après son apparition vers 1869-1874, les éditeurs majeurs et les principales structures de diffusion de la carte postale, les revues et les expositions qui la promeuvent, la migration des modèles et leur adaptation aux différents contextes.
Inventivité florissante
Mais il y a plus encore ici qu’une étude historique. Si l’on ne pratique plus guère aujourd’hui ce moyen de communication, on ne saurait le cantonner à la sphère de la passion collectionneuse tant il fut le support, autour de la Première Guerre mondiale, d’une expérimentation débridée sur le médium photographique. « Avant 1918 (et parfois bien après), écrit Carole Boulbès (p. 61), la carte postale se situe au cœur d’un jeu complexe de transferts et de circulation culturelle qui ne connaît pas de frontières ni de limites temporelles. En unissant le talent des illustrateurs aux trouvailles photographiques et cinématographiques, la carte fantaisie est aussi, par excellence, le support du choc visuel et de l’hybridation des genres. » Avec bonheur, elle se livre à une typologie de ces trouvailles, envisagées tant sur le plan technique qu’esthétique ou rhétorique : « lettres imagées », souvenirs photographiques, phototypie, trucages, collages, song cards ou portraits-mosaïques frappent autant par leur légèreté que par leur efficacité.
En unissant le talent des illustrateurs aux trouvailles photographiques et cinématographiques, la carte fantaisie est aussi, par excellence, le support du choc visuel et de l’hybridation des genres.
Surtout, l’auteure montre l’intérêt que ces images ont suscité chez les dadaïstes, les constructivistes ou encore les surréalistes, qui ont intensivement pratiqué le collage et « inventé » le photomontage. Hannah Höch reconnaissait des « précurseurs de nos photomontages actuels » dans « ces cartes postales humoristiques, qui représentaient des situations comiques, réalisées en collant ensemble des parties de photos » (p. 238). Par la collection de tels objets, elle rejoignait Paul Éluard et Walter Benjamin, lequel s’imaginait pouvoir trouver « maintes lumières sur [sa] vie ultérieure dans [sa] collection de cartes postales illustrées » (p. 263-264). Le voile se lève ainsi sur cette « révolution anonyme (ou presque) » qui se joua dans la carte postale, tandis qu’un nouveau chapitre s’ajoute au « cannibalisme culturel » qui nourrit les avant-gardes (p. 274).
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Carole Boulbès, De la carte à Dada. Photomontages dans l’art postal international (1895-1925), Saint-Loup-de-Naud, Éditions du Sandre, 2020, 312 pages, 35 euros.