32 grammes de pensée fait suite aux Images de pensée publiées en 2011 sous la direction de Marie-Haude Caraës et Nicole Marchand-Zañartu. Cette dernière, associée à Jean Lauxerois et quelques autres auteurs, a rassemblé et commenté trente-deux visualisations graphiques émanant de philosophes, d’artistes, de scientifiques, d’écrivains, de compositeurs, d’architectes, de botanistes, d’ethnographes ou même de cuisiniers, plus ou moins connus et plus ou moins contemporains. Et leurs visualisations prennent des formes tout aussi variées : cartes mentales, itinéraire, plan d’ouvrage, coupe, liste, frise, arbre généalogique, voire électrocardiogramme.
Le schéma originaire
C’est précisément par ce suffixe substantivé, « gramme » (trait, dessin, écriture d’après son étymologie grecque), que les auteurs ont choisi de désigner ces objets, nommant ainsi « le schème ou le schéma originaire selon lequel prend forme et s’organise une brusque inspiration, une pensée naissante, une théorie en gestation, une œuvre en cours d’élaboration… », avec, à l’horizon, cette question : « Et si la pensée, dans son frémissement initial, était d’emblée image ? »
Qu’ils soient précis ou vagues, lisibles ou non, qu’ils réussissent, bien provisoirement, à tenir le chaos en respect, ces grammes ont en commun de désigner la page comme le lieu où se rencontrent l’idée et l’image.
De La Rose des vents du succès de Walter Benjamin au code couleur mis au point par Claude Simon pendant l’élaboration de La Route des Flandres, les tentatives de mise en ordre visuelle de la pensée se succèdent. Lesquelles, dans leur diversité, reflètent des méthodes à l’œuvre, des modes de pensée, une vision du monde, voire une intimité. C’est le cas d’un « schéma graphique de [sa] vie » (p. 17) que Benjamin dessine un jour au café des Deux Magots et qu’il se désespère plus tard d’avoir égaré, comme si son destin, d’une certaine façon, en avait dépendu.
Dans certains de ces grammes, ainsi que l’expliquent les auteurs dans leurs commentaires, se sont jouées des transformations profondes, à l’instar d’un dessin dont Alberto Giacometti accompagne « Le rêve, le Sphinx et la mort de T. », le texte qui décida, en 1946, de l’évolution ultérieure de sa sculpture. Ou à l’exemple du « Bonhomme d’Ampère » (1820), croquis par lequel le savant matérialise le courant électrique, fondant alors l’électromagnétisme. Ils peuvent être des auxiliaires précieux, tout comme des freins, comme ce fut le cas pour Heimito von Doderer avec le « plan de la construction d’ensemble » qu’il avait élaboré, vers 1953, pour son roman Les Démons. Qu’ils soient précis ou vagues, lisibles ou non, qu’ils réussissent, bien provisoirement, à tenir le chaos en respect, ils ont en commun de désigner la page comme le lieu où se rencontrent l’idée et l’image (ou la forme), soit comme un espace aussi matériel que mental.
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Nicole Marchand-Zañartu et Jean Lauxerois, 32 grammes de pensée, essai sur l’imagination graphique, Mulhouse, Médiapop éditions, 2020, 152 pages, 25 euros.