Parmi les dizaines de milliers de clichés que Madeleine de Sinéty (1934-2011) a réalisés à Poilley, petit village breton à 60 kilomètres au nord de Rennes, l’éditeur, Jérôme Sother, et le fils de la photographe, Peter Behrman de Sinéty, en ont sélectionné un peu moins de cent. En couleurs et en noir et blanc, ils sont publiés suivis d’extraits de ses carnets, rédigés entre juin 1974 et juin 1976. Des images aux textes, c’est une même familiarité que l’on perçoit entre la photographe et son sujet, cette communauté d’Ille-et-Vilaine dont elle a partagé la vie de tous les jours entre 1972 et 1981 et qu’elle a continué à visiter par la suite.
Livrées sans légende et même sans date, les photographies enregistrent toutes sortes de moments et de circonstances, qu’elles soient intimes ou collectives, liées à la vie de famille ou au travail de la ferme, qu’elles soient exceptionnelles bien que communes (un mariage, une fête, un enterrement…) ou reviennent de façon cyclique (traire les vaches, cueillir les pommes, faire les foins, tuer le cochon).
Occupations quotidiennes
Depuis cette position privilégiée, c’est avec le même naturel, la même pudeur et la même absence de spectaculaire que Madeleine de Sinéty saisit le cocasse et l’insolite, la tension et la joie, la peine aussi. Et, bien sûr, le temps : celui des saisons et des activités qui leur sont associées, celui des besoins de la terre et des bêtes, celui des âges de la vie, celui des changements d’époque et des modes de vie en voie de disparition. Le tout, de plain-pied dans le présent et sa vitalité, son urgence parfois, et donc sans nostalgie aucune; avec une forme d’évidence et d’acceptation, que l’on entend dans cette phrase de Maria Touchard, l’une des premières habitantes de Poilley rencontrées par Madeleine de Sinéty à son arrivée. La photographe en consigne la réponse à son médecin qui lui demandait si elle n’avait pas peur de mourir : « Que voulez vous docteur, on a aussi cela à faire…»
C’est avec le même naturel, la même pudeur et la même absence de spectaculaire que Madeleine de Sinéty saisit le cocasse et l’insolite.
Qu’ils jouent, fauchent, mangent, dansent, dépècent le cochon, pensent, s’embrassent, plongent, s’habillent, attendent, tous ces individus sont visiblement occupés. Ils participent, autant qu’ils lui obéissent, à un ordre des choses qui organise le cours du temps et donne son sens à l’existence. Tel est le sentiment qui s’impose, de photographie en photographie, dans les jeux de regards, complices ou absents, dans cette attention au quotidien qui fait tout le sel de la vie.
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Madeleine de Sinéty, Un village, Guingamp, Éditions GwinZegal, 2020, 188 pages, 35 euros.
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