Que serait Vallauris sans Pablo Picasso ? A contrario, Picasso ne serait sans doute pas l’artiste aussi complet que l’on connaît sans Vallauris… Il s’installe en 1948 avec Françoise Gilot dans ce village des Alpes-Maritimes réputé pour ses poteries, sur les hauteurs de la Côte d’Azur, entre Cannes et Antibes.
Il s’agit de pièces données il y a soixante-dix ans, que la famille n’avait jamais prêtées et qui n’ont jamais été vues sur le marché.
S’il s’est déjà essayé jadis à la céramique, c’est à ce moment-là que le Minotaure s’empare vraiment de ce médium, contribuant à lui donner ses lettres de noblesse artistique. Il travaillera avec l’atelier Madoura, devenu célèbre. Celui-ci est alors dirigé par la céramiste Suzanne Ramié et son époux, Georges Ramié. Le fils de ce dernier, Jean, est aussi de la partie. Il se mariera en 1951 avec Huguette. Une dizaine d’années après lui, celle-ci s’est éteinte en mars 2020. Leurs quatre enfants dispersent aujourd’hui leur collection chez Tajan, à Paris.
Une remarquable provenance
« Picasso travaille d’abord avec la plus artiste du couple, Suzanne, le tourneur Jules Agard étant mis à sa disposition, puis avec Jean Ramié pour les éditions », explique Jean-Jacques Wattel, directeur du département « Arts décoratifs » de Tajan. « La provenance est un vrai atout pour cette vente, poursuit-il. Il s’agit de pièces données il y a soixante-dix ans, que la famille n’avait jamais prêtées et qui n’ont jamais été vues sur le marché. De plus, Claude Picasso, à la tête de Picasso Administration, était un ami d’enfance d’un des fils Ramié. »
Dans cet ensemble d’une soixantaine de lots, d’une prudente estimation globale de plus de 2 millions d’euros, la pièce phare est un Mousquetaire de Picasso de 1967, estimé de 800 000 à 1 million d’euros; un dessin de la même année, une tête de jeune homme barbu, est attendu entre 200 000 et 300 000 euros. En céramique, certaines pièces sont très rares. C’est le cas d’un Faune en buste aux marottes de 1956 peint sur un carreau de faïence et dédicacé à Jean Ramié (est. 80 000-120 000 euros), d’une tête d’homme barbu représentée sur un autre carreau en 1965 (est. 100 000-150 000 euros) et d’un plat Colombe de 1949 (est. 150 000-200 000 euros), tous les trois uniques. Figurent aussi des cruches peintes par l’artiste, souvent des éditions, estimées moins de 10000 euros. D’autres, encore moins onéreuses, sont des « empreintes originales de Picasso » sur des pièces en terre cuite. La vente comporte en outre des vases produits par l’atelier Madoura indépendamment de Picasso.
Sont représentés par ailleurs quelques artistes amis des Ramié qui séjournaient dans la région. Notamment Henri Laurens avec Femmes couchées à la pomme, une fonte d’Alexis Rudier antérieure à 1952 (est. 120 000 - 180 000 euros), et Victor Brauner avec deux dessins des années 1950, dont l’un estimé de 30 000 à 50 000 euros. Ou encore Alberto Magnelli, dont le château-musée de Vallauris conserve un très bel ensemble d’œuvres : deux de ses pièces sont proposées, dont une ardoise de 1940 évaluée à 20 000-30 000 euros. « Tout le monde passait à Vallauris à cette époque », souligne Jean-Jacques Wattel. C’est un peu de cette période bénie, sous le regard tutélaire du maestro espagnol, que retrace cette vente à la belle provenance.
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« Collection Jean et Huguette Ramié, Picasso pour témoin », 17 mars 2021 à 19 h, Espace Tajan, 37, rue des Mathurins, 75008 Paris.