« Quand je peins, je suis heureuse et je suis dans un autre monde », affirmait la peintre moderniste algérienne Baya Mahieddine (1931-1998), plus connue sous le simple nom de Baya, auquelle le Sharjah Art Museum, aux Émirats arabes unis, consacre actuellement une rétrospective. Baya est la dernière grande artiste arabe en date à voir sa carrière mise en lumière dans la série annuelle « Lasting Impressions » (« Impressions durables ») proposée par le musée. C’est aussi la première exposition de son travail au Moyen-Orient.
La rétrospective présente plus de 70 œuvres éclatantes de joie de vivre, exprimée par un sens audacieux de la couleur et du dessin. « La particularité de cette exposition est de couvrir la pratique de Baya des années 1940 aux années 1990, explique la co-commissaire Suheyla Takesh. Elle comprend des œuvres de différentes périodes de sa carrière, mais est aussi représentative des thématiques qu’elle a abordées. » Le style pictural de Baya est expressif, représentant des personnages féminins qui chantent et dansent dans des robes richement décorées, au son d’instruments de musique, entourées de fleurs, de poissons et d’oiseaux. « C’est une femme qui peint des femmes, dont la représentation est ainsi plus personnelle, échappant au prisme d’un regard masculin ou colonial », explique Suheyla Takesh.
Non seulement l’œuvre de Baya a contribué à l’essor du modernisme en Afrique du Nord, mais elle a aussi été saluée par les avant-gardes européennes dès son plus jeune âge. Autodidacte, elle a créé un monde qui lui est propre en s’inspirant de ses souvenirs d’enfance et de son environnement, ainsi que de ses riches origines algérienne et berbère. Le poète surréaliste français André Breton l’a qualifiée de « reine » et elle s’est même liée d’amitié avec Picasso pendant sa résidence de céramiste à Vallauris, dans le sud de la France.
L’exposition comprend une rare œuvre, une femme en céramique peinte, prêtée par la Dalloul Art Foundation (Liban), vraisemblablement réalisée durant la résidence de Baya en France. « Ce qui m’a le plus surpris dans sa pratique, c’est sa confiance en ce qu’elle faisait et en la façon dont elle le faisait. Malgré toutes ces années et ce qu’elle a traversé, elle n’a jamais abandonné le sens profond de ce qu’elle était et sa personnalité », explique la co-commissaire Alya Al Mulla à The Art Newspaper.
ANDRÉ BRETON L’A QUALIFIÉE DE « REINE »
ELLE N'A QUE 16 ANS LORS DE SA PREMIÈRE EXPOSITION À LA GALERIE MAEGHT, À PARIS, EN 1947
Née près d’Alger, orpheline à l’âge de 5 ans, Baya est ensuite adoptée par la peintre et collectionneuse d’art Marguerite Caminat, qui a favorisé son penchant artistique. C’est en 1945 que le marchand d’art français Aimé Maeght découvre le talent de Baya. Il organise sa première exposition à la Galerie Maeght, à Paris, en 1947. Elle n’a alors que 16 ans. Pour cette exposition à Sharjah, la Galerie Maeght a prêté certaines des peintures exposées lors de la toute première exposition de Baya, notamment Village et colline et Femme et personnage fantastique (toutes deux de 1947). La famille de Baya a également prêté deux œuvres.
Selon les commissaires de l’exposition, Baya a résidé en France jusqu’en 1953. L’une des idées reçues qu’ils souhaitent voir battues en brèche est qu’elle aurait cessé de peindre après avoir épousé un musicien et qu’elle se serait alors consacrée à sa famille. « Nous exposons des œuvres de cette époque, dément Alya Al Mulla. Bien que Baya n’ait peut-être pas travaillé aussi souvent qu’elle l’aurait voulu, elle n’a jamais complètement cessé de peindre ».
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« Lasting Impressions : Baya Mahieddine », jusqu’au 31 juillet 2021, Sharjah Art Museum.