Des œuvres de l’artiste conceptuel américain Felix Gonzalez-Torres, disparu en 1996, seront bientôt présentées sur différents sites de Barcelone, de La Rambla à la salle de concert L’Auditori, dans le cadre d’une exposition organisée par le MACBA. « Dans le pavillon Mies van der Rohe [le pavillon allemand de l’exposition internationale de 1929 à Barcelone], nous présenterons Untitled (Loverboy) de 1989; à la Rambla del Raval, ce sera Untitled (America), de 1994 [une installation de douze guirlandes lumineuses], aimablement prêtée par le Whitney Museum de New York et présentée pour la première fois depuis des années en plein air. Des éléments de cette installation seront aussi accrochés sur la façade du MACBA », explique Tanya Barson, la conservatrice en chef du musée, qui organise l’exposition.
La série de panneaux d’affichage Untitled (It’s Just a Matter of Time) de 1992 sera quant à elle présentée dans plusieurs lieux, dont l’Auditori. « Toutes les œuvres montrées dans l’espace public [à Barcelone] seront également présentes au MACBA, comme une sorte de dédoublement conceptuel qui se révélera aussi pertinent pour l’œuvre qu’il marquera notre lien avec la ville », ajoute Tanya Barson. « Bien que nous ayons commencé à travailler sur l’exposition avant la crise actuelle du Covid-19, cette dernière a accru la résonance de l’œuvre [de l’artiste] avec notre époque. En outre, je suis convaincue que la crise sanitaire rend ces œuvres pour l’espace public encore plus importantes, tant du point de vue de l’expérience physique qu’elles induisent que des idées de communauté et de générosité qu’elles incarnent», déclare la commissaire.
LA SÉRIE DE PANNEAUX D’AFFICHAGE «UNTITLED (IT’S JUST AMATTER OF TIME)» DE 1992 SERA PRÉSENTÉE DANS PLUSIEURS LIEUX, DONT L’AUDITORI
Tanya Barson est une grande spécialiste de l’artiste. Elle fut à l’origine des premières acquisitions d’œuvres de Felix Gonzalez-Torres – né à Cuba – pour la collection de la Tate à Londres où elle a travaillé auparavant. « Depuis que je suis au MACBA, je souhaitais organiser une exposition qui tienne aussi bien compte de l’importance des histoires de l’art latino-américaines que de l’influence de l’œuvre [de Felix Gonzalez-Torres] pour les jeunes générations d’artistes de Barcelone, d’Espagne et des Amériques, avec lesquelles j’ai beaucoup dialogué au fil des ans », affirme-t-elle.
L’exposition entend resituer le travail de l’artiste dans le contexte du discours postcolonial et des histoires connexes de l’Espagne et des Amériques. Selon Tanya Barson, ces questions ont aussi été abordées dans une exposition au MUAC (Museo Universitario Arte Contemporáneo) de Mexico, organisée par Sonia Becce en 2010. « Néanmoins, c’est un sujet très vaste qui reste largement à explorer. Cette question fait d’ailleurs encore débat. Nous n’essayons pas, bien sûr, d’enfermer Felix Gonzalez-Torres dans un déterminisme identitaire abusif – il a été très clair sur le [risque] de bouleverser l’image attendue de l’artiste “hispanique”. Il s’agit plutôt d’appréhender son travail du point de vue de Barcelone en 2021, et de sa pertinence aujourd’hui », explique Tanya Barson.
L’IDÉE DE RÉPRESSION SERA ABORDÉE, METTANT ENÉVIDENCE L’HOMOPHOBIE TOUT EN ÉVOQUANT LA DICTATURE DE FRANCO
La première salle de l’exposition sera consacrée aux thèmes de l’autoritarisme et du fascisme, à travers l’exploration par l’artiste de la mémoire et de l’autorité. L’idée de répression sera aussi abordée, mettant en évidence l’homophobie tout en évoquant la dictature du général Franco (1939-1975) en Espagne. « Pour Barcelone, il semblait important de commencer par une salle consacrée aux œuvres qui critiquent le plus clairement la politique de droite, et comment elles peuvent être appréhendées en rapport à la dictature espagnole. J’ai une longue fascination pour la guerre d’Espagne… et il était évident pour moi que son œuvre pouvait être incroyablement puissante si on la montrait ici à Barcelone, considérant l’histoire de la ville pendant cette période et ses répercussions depuis », assure Tanya Barson.
Il est significatif que Felix Gonzalez-Torres soit venu en Espagne quand il était enfant, une étape en 1971 dans son chemin de Cuba vers Porto Rico. « Ce fut pour lui une expérience importante et douloureuse de l’ère franquiste, car il s’agissait d’une société très autoritaire et religieuse», précise la commissaire.
Il est également important d’aborder le thème de la déconstruction du monument, qui imprègne l’œuvre de l’artiste, souligne Tanya Barson, laquelle considère que la démarche de Felix Gonzalez-Torres reste politiquement d’actualité. « Qu’est ce qui pourrait être plus pertinent [dans le contexte] du retour de Franco dans l’actualité ces dernières années – avec l’exhumation de sa dépouille du mausolée d’El Valle de Los Caidos [fin 2019], la montée de la droite populiste en Espagne – ainsi que dans le contexte des manifestations actuelles de Black Lives Matter ? », interroge la conservatrice.
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« Felix Gonzalez-Torres : The Politics of Relation », du 26 mars au 12 septembre 2021, MACBA, Plaça dels Àngels, 1, Barcelone, Espagne.