Plus de 700 artistes moscovites sont « mis à la rue » par le gouvernement russe, qui a entrepris de détruire leurs ateliers au bulldozer pour faire place à des opérations immobilières, selon l’Union des artistes de Moscou (MUA).
Environ un millier d’ateliers – situés pour la plupart dans des immeubles résidentiels de type « Khrouchtchevka » (du nom de Khrouchtchev, dirigeant de l’Union soviétique de 1958 à 1964) datant des années 1960 – sont disséminés dans la capitale, dont 500 environ doivent bientôt être démolis. Ils appartiennent à la Ville de Moscou et sont loués gratuitement par le MUA dans le cadre d’un programme remontant à l’ère soviétique visant à aider les artistes. Bien que l’initiative soit maintenant obsolète, une longue lignée de peintres, sculpteurs et céramistes a continué pendant des décennies à bénéficier de ces espaces subventionnés.
CE PROGRAMME REMONTANT À L’ÈRE SOVIÉTIQUE VISAIT À AIDER LES ARTISTES
Les résidents normaux des bâtiments visés sont relogés dans de nouveaux appartements, mais les artistes sont expulsés sans que des ateliers de substitution ne leur soient proposés par le gouvernement russe. Les avis d’expulsion définitifs sont arrivés en décembre 2020.
« Le contrat de bail établi par la Ville de Moscou contient une clause stipulant que si les bâtiments sont démolis, nous ne pouvons pas exiger des ateliers en remplacement, explique Youri Kurshakov, qui travaille pour le MUA. C’est une mesure difficile à digérer car nous ne parlons pas seulement de quelques ateliers ici, mais de communautés entières qui vont disparaître. »
Dans l’état actuel des choses, le MUA n’est en mesure de fournir des ateliers qu’à un tiers de ses 7 000 membres et souligne que les affirmations « trompeuses » des autorités n’aident pas, malgré la promesse du maire de Moscou, Sergueï Sobianine, selon laquelle « aucun artiste ne sera laissé à la rue ». Le syndicat ajoute qu’il est actuellement impossible d’organiser des réunions avec les autorités pour débattre de la situation, à cause de la pandémie.
Les premiers ateliers qui doivent être rasés se trouvent dans un immeuble de cinq étages dans le quartier d’Izmaïlovo, à l’est de Moscou, à côté de l’autoroute Schelkovskoe. Des espaces spécialement conçus sont occupés par des artistes depuis 1961; 14 y travaillent actuellement et ont reçu un avis d’expulsion en août de l’année dernière. « Nous luttons contre cette situation injuste parce que nous sommes privés de lieu de travail », déclare Denis Rudykh, qui y occupe un atelier depuis une décennie. « Sans atelier, un artiste cesse d’être un artiste. Nous n’abandonnons pas », déclare-t-il. Députée à la Douma de Moscou, Yelena Yanchuk a pris le parti des artistes. Elle a également accusé Sergueï Sobianine de « faire de vaines promesses » et affirme que les appels des artistes ne sont pas entendus. Elle qualifie la situation d’« absolument absurde ».
«SANS ATELIER, UN ARTISTE CESSE D’ÊTRE UN ARTISTE»
L’artiste Yaroslav Martynov – décédé en décembre à l’âge de 59 ans des suites d’un cancer – avait hérité d’un atelier de son père dans le quartier d’Izmaïlovo en 1998. « Il est difficile de lier avec certitude sa mort à [l’imminence de] l’expulsion, mais cela n’a pas aidé à la paix de son esprit. Tout a coïncidé et c’était terrible… Nous devions faire nos valises et partir très vite, c’était très stressant », raconte sa femme Evgeniya. Elle soutient que le MUA n’a pas fait assez pour les défendre. « Le syndicat ne s’est pas emparé du problème lorsqu’il est apparu pour la première fois… Et lorsqu’il a entendu parler pour la première fois des expulsions, il a réagi lentement et n’a organisé une réunion avec les artistes que deux semaines plus tard », dit-elle. Selon Youri Kurshakov, cependant, le MUA a fait tout ce qui était en son pouvoir pour aider les artistes, mais il assure que ses « moyens pour peser sur la situation sont limités ».
« Nous avons reçu un avis nous disant de quitter notre atelier d’Izmaïlovo dans les deux mois bien que le bail entre le syndicat et le gouvernement court jusqu’en 2025 », explique l’artiste Alexei Spirenkov, qui a partagé un atelier avec sa femme. Et d’ajouter: « le syndicat nous a alloué un espace après notre déménagement, mais il est minuscule. La plupart des artistes n’ont nulle part où aller et aucun endroit où stocker leurs œuvres. »
LE GOUVERNEMENT RUSSE PRÉVOIT DEDÉPLACER 10% DE LA POPULATION DELA CAPITALE
Dans le cadre de la grande réforme urbaine de Moscou, le gouvernement russe prévoit de déplacer 10% de la population de la capitale, en remplaçant des logements délabrés d’après-guerre par des appartements modernes. « Les premiers étages de ces nouveaux bâtiments sont non résidentiels… Céder une partie de ces locaux aux artistes serait une évidence, d’autant plus que sont construits deux à trois fois plus de logements que ceux démolis, déclare le député à la Douma de Moscou Dmitry Baronovsky. Apparemment, la ville n’a pas besoin d’artistes. Ils n’apportent pas de recettes au budget [municipal] et il n’est pas rentable financièrement de leur fournir des locaux. »