L’un des plus grands défis pour la police et les douaniers dans le domaine de la lutte contre le commerce illégal d’antiquités pillées consiste à identifier les objets volés. Si la drogue ou les armes sont facilement identifiables, les antiquités volées peuvent être considérées comme des copies modernes ou des importations légitimes si elles sont accompagnées de documents convaincants. Sans archéologues experts sur place, il est difficile pour les forces de l’ordre de faire la différence avec des pièces volées.
Les experts allemands en technologies de l’information développent actuellement une application pour les y aider. Un prototype pourrait être prêt pour des essais pratiques d’ici le milieu de l’année, selon Martin Steinebach, responsable de la sécurité des médias et de l’informatique légale à l’Institut Fraunhofer de Darmstadt. La nouvelle application, baptisée KIKU, utilise l’apprentissage automatique, un sous-ensemble de l’intelligence artificielle (IA), pour identifier un objet à partir de photos et pour aider à déterminer s’il a été illégalement pillé ou dérobé lors de fouilles sur un site archéologique.
La technologie est similaire à d’autres logiciels de reconnaissance d’images tels que IA Vision de Google Cloud et peut être utilisée sur un smartphone, explique Martin Steinebach. La police ou les douaniers prennent des photos d’un objet suspect sous différents angles, guidés par l’application pour assurer un éclairage adéquat et les bonnes perspectives. Les photos sont ensuite envoyées au réseau de KIKU, qui recherche des artefacts similaires et des informations pertinentes auprès des archéologues, comme le lieu d’origine et la date. Le système fournit une base de données aux forces de l’ordre pour juger si l’objet peut avoir été pillé. Dans un deuxième temps, l’application compare la pièce avec les registres de la police sur les biens culturels volés. Interpol, par exemple, recense plus de 51 000 objets volés dans 134 pays. Si une pièce correspond à l’une de celles identifiées dans la base de données, l’application émet une alarme.
L’APPLICATION COMPARE LA PIÈCE AVEC LES REGISTRES DE LA POLICE SUR LES BIENS CULTURELS VOLÉS
Décrit par la ministre allemande de la Culture Monika Grütters comme une « contribution innovante, durable et pratique » à la lutte contre le trafic illégal de biens culturels, KIKU a bénéficié d’un financement qui pourra atteindre 500 000 euros dans le cadre d’un programme gouvernemental allemand de promotion de la technologie de l’intelligence artificielle – un projet en cours jusqu’à la fin de cette année. L’Institut Fraunhofer, l’une des plus importantes institutions de recherche scientifique au monde, développe KIKU en coopération avec CoSee, une société de logiciels basée à Darmstadt.
En 2018, Interpol a enregistré plus de 91 000 objets volés relevant du patrimoine culturel et près de 223 000 pièces saisies par les forces de l’ordre dans le monde. KIKU découle d’un projet de recherche financé par le gouvernement allemand, ILLICID, qui examinait le marché des biens culturels anciens en Allemagne. Parmi ses conclusions, figurait le fait que les enquêteurs et les autorités de contrôle ne disposaient pas des compétences nécessaires pour lutter contre le trafic illicite d’objets anciens. « Il n’est actuellement pas possible de surveiller efficacement le marché ou d’appliquer de manière appropriée les exigences existantes et/ou nouvelles régissant la circulation des objets culturels anciens », indique le rapport. Des outils technologiques efficaces pourraient « alléger considérablement la charge des autorités douanières, des experts et des enquêteurs ».
KIKU UTILISE LES DONNÉES ET LES IMAGES FOURNIES PAR LES ARCHÉOLOGUES DE LA STIFTUNG PREUSSISCHER KULTURBESITZ
KIKU utilise les données et les images fournies par les archéologues de la Stiftung Preussischer Kulturbesitz (Fondation du patrimoine culturel prussien) réunissant environ 2 500 objets archéologiques des collections de Berlin. Mais il s’agit d’un ensemble d’images relativement restreint et il en faut davantage, plaide Martin Steinebach : « Au moins dix fois plus » s’avère nécessaire. « L’application peut apprendre des écritures ou des formes distinctes. Si nous disposons de suffisamment d’exemples, elle peut les reconnaître. Plus il y a d’images, mieux cela fonctionne. » En outre, l’équipe utilise le « transfert d’apprentissage » à partir de réseaux existants et ajoute des objets recensés dans des bases de données et des catalogues de musées en ligne.
Martin Steinebach affirme que si un objet est importé avec des documents de provenance falsifiés, il sera possible aux autorités de prouver qu’ils sont faux si KIKU permet aux douaniers d’identifier correctement l’objet. « Si les documents prétendent que l’objet est du XVIe siècle mais que l’application l’identifie comme datant de 600 avant J.-C., cela donne aux douaniers un très bon point de départ », explique-t-il. Avant d’ajouter que l’application n’est pas conçue pour détecter les contrefaçons. Le défi majeur est constitué par le manque de registres pour les antiquités récemment mises au jour. Cependant, tant qu’un objet ressemble à d’autres connus de la même époque, l’application devrait être en mesure d’identifier son lieu d’origine et sa datation, explique Martin Steinebach : « Mais il reste impossible d’identifier ce qui peut avoir été découvert lors de fouilles récentes; il peut s’agir de quelque chose qui n’a jamais été vu auparavant. »
Martin Steinebach ne s’attend pas à ce que l’application élimine de si tôt le recours aux experts en archéologie pour identifier les objets. Elle servira plutôt de référence initiale aux autorités, qui devront alors contacter un expert sur la base des conclusions de KIKU pour une évaluation plus précise. Mais, grâce à la technologie d’apprentissage automatique, plus KIKU sera utilisé, meilleure sera son efficacité à identifier des objets.