Confronté au défi de diriger une institution meurtrie, le nouveau directeur du Musée des beaux-arts de Montréal (MBAM) entend transformer cet épisode en énergie et en force de cohésion dans le monde muséal nord-américain – par opposition à « la banlieue de Paris ».
D’aucuns pourraient considérer cette déclaration de Stéphane Aquin, actuellement conservateur en chef au Hirshhorn Museum and Sculpture Garden à Washington, comme une critique du mandat de Nathalie Bondil, ancienne directrice générale et conservatrice en chef du musée remerciée en juillet à la suite de plaintes dénonçant des conditions de travail « toxiques ». Depuis sa nomination au poste de directrice générale en 2007, Nathalie Bondil a placé le MBAM sur la carte internationale de l’art, notamment en tirant profit de ses nombreux contacts dans le monde des musées en Europe.
« Une chose qui me tient à cœur est de conforter notre réputation en Amérique du Nord », déclare Stéphane Aquin à propos du MBAM, où il a été conservateur pour l’art contemporain de 1998 à 2015 avant de quitter l’institution pour le Hirshhorn Museum. « Nous ne sommes pas dans la banlieue de Paris. Nous partageons avec les États-Unis la même culture », ajoute-t-il. Il affirme envisager des partenariats avec des musées de villes américaines pour organiser des expositions en commun, mais aussi lancer des recherches et accorder des bourses ensemble. Et il déclare qu’il arrivera à Montréal en novembre, aucune date précise n’ayant été auparavant annoncée.
Nathalie Bondil a déclaré que son licenciement avait été en grande partie causé par ses réserves concernant la promotion de la conservatrice Mary-Dailey Desmarais au poste de directrice du département de la conservation du MBAM – une décision qui a suivi une enquête après des plaintes dénonçant des conditions de travail dégradées. La presse canadienne s’est interrogée sur les motifs de cette nomination, qui aurait pu être motivée par la fortune de la famille Desmarais. Stéphane Aquin précise que Mary-Dailey Desmarais sera confirmée dans ses responsabilités. « Elle est extraordinairement talentueuse et suscite le respect de tout le personnel, elle a mon admiration et ma confiance, affirme-t-il. J’ai travaillé avec elle par le passé et je me réjouissais que ce soit à nouveau le cas en me portant candidat au poste de directeur. »
Pour autant, il loue le bilan de Nathalie Bondil, notamment les liens qu’elle a su tisser entre le musée et la communauté montréalaise. « Je tiens à féliciter Nathalie pour la façon dont elle a réussi à convaincre tous les habitants de Montréal que le musée était là pour eux, dit-il. Elle a accueilli tout le monde dans ce musée, des gens de tous les horizons. Et cette dimension se reflète dans la fréquentation du musée .» L’institution devra s’appuyer fortement sur cette communauté locale, note-t-il, puisque la pandémie de Covid-19 devrait avoir un impact sur le tourisme pendant « deux à trois ans ». Contraint de fermer en mars en raison de la crise sanitaire, le MBAM a rouvert ses portes le 6 juin, mais a dû à nouveau fermer le 1er octobre [sa réouverture est prévue pour l’instant le 29 octobre], une recrudescence de cas de coronavirus ayant conduit les autorités à ordonner la fermeture des institutions culturelles.
Nathalie Bondil a engagé une procédure contre le conseil d’administration du musée pour licenciement abusif et diffamation. Une enquête sur son éviction, commandée par la ministre de la Culture du Québec, a identifié des problèmes de gouvernance au sein du musée et remis en question le pouvoir du conseil d’administration. Son ancien président, Michel de la Chenelière, qui avait porté les accusations d’un environnement de travail toxique contre Nathalie Bondil, a démissionné de son poste de président et a été radié des trustees lors d’un vote le mois dernier.
LE MUSÉE A NOUÉ UN PARTENARIAT AVEC L’INSTITUT CULTUREL AVATAQ VISANT À RENFORCER LES EXPOSITIONS DE SA COLLECTION D’ART INUIT
Stéphane Aquin note que le nouveau président du conseil d’administration, Pierre Bourgie, a chargé deux consultants indépendants, Lise Bissonnette et Pierre A. Raymond, d’analyser la manière dont le musée est gouverné. « Les structures doivent être adaptées et révisées, dit-il. Ils examineront le cadre juridique qui régit le musée. »
Le nouveau directeur affirme que son expérience en tant que conservateur en chef au Hirshhorn Museum, qui fait partie de la Smithsonian Institution à Washington, lui a permis d’avoir pleinement conscience des problèmes auxquels les musées sont actuellement confrontés, en particulier les questions de la diversité et de l’inclusion. «Je pense qu’il est important d’aborder ce débat intense », dit-il. « Pour un musée encyclopédique » comme le MBAM, « cela signifie prendre en compte des voix et des visions qui remettent en question la notion même d’encyclopédisme. Comment pouvons-nous mieux faire en tant qu’institution née dans le contexte du colonialisme et de la suprématie blanche ? » Le musée a noué un partenariat avec l’Institut culturel Avataq visant à renforcer les expositions de sa collection d’art inuit, l’une des plus importantes au Canada.
Compte tenu de son bilan positif à la tête du musée, l’éviction de Nathalie Bondil au cours de l’été a perturbé et divisé le monde culturel montréalais. Une lettre signée par plus de cent employés actuels et anciens du MBAM a cependant déclaré en août que son licenciement était justifié, mais l’ancienne directrice a répondu que certains avaient été contraints d’associer leur nom aux plaintes de harcèlement et d’intimidation durant son mandat.
Selon Stéphane Aquin, le climat social est désormais apaisé et le personnel se montre très optimiste. « Nous avons eu une longue réunion, rassure-t-il. Nous allons de l’avant, pour préparer l’avenir. Le passé est le passé. » Et d’ajouter: « Il y a un grand sentiment d’enthousiasme en ce moment. On a l’impression de tourner la page. »