Stéphanie Solinas étant photographe, on s’étonnera peut-être de trouver si peu d’images dans son Guide du Pourquoi Pas ? Tout au plus deux portraits de Jean-Baptiste et Jean-Martin Charcot, le fils et le père, quelques cartes et planches et, en couverture, l’un des soixante-six cyanotypes qui composent sa série Équivalences. Elle n’a même pas, à proprement parler, fait cette dernière, puisqu’il s’agit de l’enregistrement des réactions produites par la lumière sur du papier photosensible glissé dans des anfractuosités rocheuses, sur des sites islandais réputés être le séjour des elfes : pourquoi pas des traces, des empreintes même, de leur existence ? C’est que l’artiste s’intéresse avant tout à la formation ou au surgissement des images, à leur histoire et à leurs usages, à la part qu’y tiennent l’homme, la machine ou des processus plus ou moins identifiés, que ces images soient d’ordre visuel ou mental.
Fascinée par l’inexpliqué
L’ouvrage qui vient de paraître fait ainsi partie d’un projet plus vaste entamé durant une résidence à Reykjavik, en 2014, et composé de photographies, de films, de textes et d’objets : Le Pourquoi Pas ? Et s’il en constitue le guide, c’est qu’il en décrit le territoire, y établit des repères et donne la parole à ceux qui y ont joué le rôle d’« intercesseurs ». Ils sont médiums, artistes, chercheurs en différentes sciences sociales, en médecine ou en génétique. Organisé en quatre itinéraires (« Randonnées apoptotiques », « Excursions en terres occipitales », « Routes des connexions telluriques », « Circonvolutions de la connaissance »), le texte est un montage de passages des entretiens qu’ils ont eus avec Stéphanie Solinas. Leurs propos se suivent, se répondent
l’artiste s’intéresse avant tout à la formation ou au surgissement des images, que celles-ci soient d’ordre visuel ou mental.
et, oscillant entre la croyance et la science, circulant entre les routes de l’île islandaise et les méandres du cerveau, composent une image kaléidoscopique du rapport à l’invisible. Ce faisant, et sans qu’elle y prenne réellement la parole, l’univers de l’artiste se trouve ébauché : son goût pour les coïncidences qui mettent en branle l’imaginaire – ici la ressemblance entre la forme de l’Islande et celle du cerveau –, sa fascination pour l’inexpliqué qu’elle arpente en le triangulant à partir de points-vigies, dont Alphonse Bertillon. Dans ce livre, les points-vigies sont les deux Charcot, le neurologue et le médecin devenu explorateur polaire et disparu dans le naufrage du Pourquoi Pas? au large de Reykjavik. Tous deux se sont aventurés, non sans risques ni écueils, dans les confins du cerveau, du corps ou bien du globe, montrant, comme l’affirme l’une des interviewées, qu’« il y a beaucoup plus que ce que l’on voit », œuvrant donc à la fois pour la connaissance et l’imagination.
Stéphanie Solinas, Guide du Pourquoi Pas ?, Paris, Seuil, 2020, 192 pages, 17 euros.