Moins de six mois après que son cancer a été diagnostiqué, pour lequel elle a subi une intervention chirurgicale éprouvante, l’artiste britannique Tracey Emin inaugure non pas une, mais deux expositions à Londres : celle tant attendue en duo avec l’expressionniste norvégien Edvard Munch, à la Royal Academy of Arts (7 décembre 2020-28 février 2021), et celle de ses nouvelles peintures dans l’espace de Mayfair de la galerie White Cube (jusqu’au 30 janvier 2021).
La galerie londonienne a aussi participé la semaine dernière à l’édition en ligne d’Art Basel Miami Beach, où elle a présenté l’installation Feeling Pregnant III (2005) de Tracey Emin, proposée à 550 000 dollars. L’artiste a créé cette œuvre – composée d’un groupe de personnages en bois vêtus de combinaisons cousues à la main et de blouses montrant des renflements et des bosses – à l’âge de 42 ans, lorsqu’elle a compris qu’elle n’aurait pas d’enfant. « À la place, j’ai décidé de créer ma propre grossesse », a expliqué l’artiste à The Art Newspaper.
LES AMOURS PERDUS, LA SOLITUDE ET L’ABSENCE D’ENFANT SONT QUELQUES-UNS DES THÈMES ABORDÉS DANS L’EXPOSITION
Les amours perdus, la solitude et l’absence d’enfant sont quelques-uns des thèmes abordés dans l’exposition de la Royal Academy of Arts. Edward Munch non plus n’a jamais connu la paternité. D’un point de vue formel, il est manifeste que Tracey Emin a beaucoup emprunté à l’art du Norvégien, ce qui apparaît notamment dans la sélection de dix aquarelles de figures féminines du maître. L’exposition constitue à bien des égards une lettre d’amour d’Emin à son âme sœur, née exactement 100 ans avant elle.
« Munch n’était pas ce que les gens croient, ce Norvégien barbu courant dans les champs. Il était très sexy, et aurait pu être une star de cinéma hollywoodienne, avance Tracey Emin. Il a été le premier à posséder une automobile américaine à Oslo et l’un des premiers à avoir un téléphone. Il s’habillait impeccablement, il était vraiment sophistiqué. Sa palette de couleurs – ces lilas, ces verts citron et ces roses – était très osée dans les années 1880 et 1890. »
L’exposition titrée « The Loneliness of the Soul » (« La solitude de l’âme ») devait ouvrir plus tôt cette année au Munchmuseet, nouvellement installé dans le fjord d’Oslo, près de l’Opéra de la capitale. Mais en raison des retards de chantier, et des confinements consécutifs à la pandémie de Covid-19, l’exposition est finalement d’abord accueillie par la Royal Academy of Arts. Lors de la présentation en Norvège, désormais prévue à l’été prochain, elle inclura My Bed (1998), œuvre emblématique de Tracey Emin rarement prêtée à l’étranger, et elle sera complétée par le tableau de Munch La mort de Marat (1907) et le film Homage to Edvard Munch and All My Dead Children (1998), présenté actuellement à la galerie White Cube.
Lorsqu’il a acquis My Bed aux enchères pour 2,54 millions de livres sterling en 2015, le comte Christian Duerckheim, homme d’affaires et collectionneur allemand, s’est engagé à prêter l’œuvre à la Tate pendant au moins dix ans. Il a accepté que l’installation, actuellement conservée dans les réserves, se rende à Oslo. Mais, cela pourrait être la dernière fois qu’elle voyage avant de nombreuses années. « Je ne suis autorisée à la prêter à l’étranger qu’une fois tous les dix ans environ, donc c’est une décision lourde de conséquence, confirme Tracey Emin. On m’a dit: “Si tu fais ça, Tracey, ce sera fini pour un bon moment”. Mais je ne veux pas faire de rétrospective, donc cela n’a pas d’importance. »
L’artiste reconnaît être « descendue de son grand cheval », surtout depuis le diagnostic de son cancer. « Je pense que lorsque j’étais plus jeune, j’avais une ambition aveugle, confie-t-elle. Maintenant, ce n’est plus du tout le cas. J’ai juste besoin de faire les choses que je veux faire. » Sa « modeste » exposition de la Royal Academy, ainsi que celle chez White Cube, « Living Under the Hunters Moon », en sont des exemples. À la galerie, elle présente un nouveau bronze représentant une paire de jambes ainsi que des peintures réalisées dans les jours et semaines qui ont précédé le diagnostic de son cancer. Heureusement, l’artiste est actuellement en rémission.
L’ARTISTE RECONNAÎT ÊTRE « DESCENDUEDE SON GRAND CHEVAL », SURTOUT DEPUISLE DIAGNOSTIC DE SON CANCER
Parallèlement à son activité de peintre à Margate, dans le Kent, où elle dispose d’un vaste atelier qu’elle envisage de transformer en musée, Tracey Emin dit espérer tomber « follement amoureuse » en 2021 et « vivre la vie que j’ai probablement toujours voulu vivre, mais dont j’ai toujours eu trop peur ». Surtout, conclut-elle : « Je veux être ici. »