Paru en marge de l’exposition du même nom au centre d’art Le Delta (Namur, Belgique) – fermée prématurément pour cause de confinement –, This Is My Body, My Body Is Your Body, My Body Is the Body of the Word offre une suite stimulante et opportune à l’événement. Dans un agréable format étroit à la reliure cousue, l’opuscule, ni catalogue, ni somme académique, ni recueil poétique, propose une réflexion transdisciplinaire sur le corps et les déterminismes identitaires.
Ainsi, Lilou Vidal, à la fois directrice de l’ouvrage et commissaire de l’exposition, esquisse une certaine histoire de la libération littéraire, philosophique, sémiotique et visuelle du corps, depuis le « corps sans organe », réclamé par Antonin Artaud, au corps épidémique et non filial de Gilles Deleuze et Félix Guattari, en passant par le cyborg de la biologiste féministe Donna Haraway ou encore le corps lesbien de la romancière et théoricienne Monique Wittig. Là, Vidal entrevoit la possibilité d’une transformation de la culture patriarcale par le langage, avec pour dessein la déconstruction de la binarité des genres sexués. À ses yeux, l’écriture inclusive – caractérisée entre autres par l’énumération au féminin et au masculin (« elles et ils font ») ou par le point médian (« un·e appren-ti·e ») – « devient le moteur d’une nouvelle conception linguistique, littéraire et artistique ».
Un regard critique sur l’identité de genre, structuré par le féminisme ou une approche queer, et une pratique en partie articulée autour de l’écrit.
Mise en scène du genre
Par ailleurs, This Is My Body réunit une anthologie de textes (« poèmes, hypertextes, scripts, notes, chansons, citations ou extraits de pensées plurilinguistiques ») signés des quinze artistes exposés à Namur, parmi lesquels Gianfranco Baruchello, Pauline Boudry/Renate Lorenz, Félix González-Torres, Derek Jarman et Hanne Lippard. Leur point commun ? Un regard critique sur l’identité de genre, structuré par le féminisme ou une approche queer, et une pratique en partie articulée autour de l’écrit.
En outre, deux autres essais complètent l’ensemble. Celui de l’écrivaine Émilie Notéris, consacré à l’« inclusion contrariée et impossible des femmes dans l’art », telle qu’elle lui apparaît dans les œuvres de Tomaso Binga – pseudonyme masculin de Bianca Menna, adopté en réaction au sexisme de la scène artistique –, Lynn Hershman Leeson et Ketty La Rocca. Et celui de la poétesse Quinn Latimer, qui porte également sur Tomaso Binga et, plus particulièrement, sur deux de ses photographies mettant en scène le mariage d’elle-même avec son double masculin : « Pourquoi la métaphore de la mère, de l’autrice ? interroge Latimer. De l’enfant, du texte ? Pour produire, pour reproduire; écrire; réécrire. C’est épuiser ce corps que de le regarder écrire. »
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Lilou Vidal (éd.), This Is My Body, My Body Is Your Body, My Body Is the Body of the Word, Namur, Le Delta, Paris, Paraguay Press, 2019, 100 pages, 20 euros.