K comme Kolonie. Kafka et la décolonisation de l’imaginaire de Marie José Mondzain est l’ouvrage d’une « lectrice assidue de Kafka » (p. 78), d’une spécialiste des images, ainsi que d’une philosophe en dialogue avec les débats et maux de son temps. Elle y construit une lecture de deux fables politiques de l’écrivain praguois : La Colonie pénitentiaire, écrite en 1914, et L’Amérique, rédigée entre 1911 et 1914.
En s’autorisant chemins de traverse, détours et retours, elle élabore une vision de Franz Kafka mettant au jour ce qui sous-tend son œuvre littéraire et ce qu’elle éclaire d’aussi important que « la réalité historique de la colonisation allemande, la structure de la machine et de son fonctionnement, la réversibilité des places, la pensée de l’incarnation dans l’inscription charnelle de la servitude, celle de l’esclavagisme capitaliste » (p. 53-54).
Des inspirations diverses
Ces chemins de traverse et détours passent par l’enfance et l’adolescence de l’auteure, à Alger, dans les années 1940-1950, par le parcours de James Baldwin et ses analyses portant sur le cinéma américain, par la « caméra analytique » mise en œuvre par Yervant Gianikian et Angela Ricci Lucchi pour donner à voir le regard des colonisateurs, par Le Cratère (2017) de Silvia Luzi et Luca Bellino et la façon dont le dehors et la fuite s’y manifestent, par l’exposition « Le Modèle noir, de Géricault à Matisse » du musée d’Orsay (2019), ou encore par les études d’Ann Laura Stoler, Alain Mabanckou et Achille Mbembe. Avec ce jeu de résonances, l’imaginaire de Kafka – puisque c’est de cet ordre que Marie José Mondzain s’occupe – infuse la pensée du monde actuel. Quant à la question de la décolonisation, elle est posée tant sous l’angle de la création, de l’écriture et des images – « Parler sa propre langue comme une langue étrangère est sans doute une des voies radicales vers la décolonisation de l’imaginaire » (p. 119) – que d’un point de vue social et politique global, où « l’hospitalité » apparaît comme « condition décisive de la décolonisation » (p. 45).
C’est en cela que le texte s’avère particulièrement passionnant et inspirant : non seulement par sa perspective historique et théorique qui amène à penser ensemble le colonialisme et l’impérialisme capitaliste, mais aussi par le modèle « archipélique » emprunté à Édouard Glissant, qui fonctionne, en miroir, pour une définition de l’humanité et pour une pensée du monde fondée dans « l’expérience de la disjonction et de la relation entre les éléments disjoints » (p. 221).