« Photographe », « documentaliste » et pratiquant la « recherche iconographique » : telles sont les activités que Nicolas Bouvier avait choisi de faire figurer dans l’en-tête de son papier à lettres professionnel. Quelque vingt ans après sa disparition, en 1998, trois ouvrages permettent aujourd’hui d’approcher, dans toute sa diversité et sa cohérence, l’œuvre de celui que l’on connaît, pour L’Usage du monde, paru en 1963, comme l’un des grands écrivains voyageurs du XXe siècle. Réunis dans La Guerre à huit ans (Zoé, 2020), trois textes autobiographiques montrent les liens étroits qui unissent pour lui les livres aux voyages : « Cette constellation familiale, résumait-il en 1996, a fait de moi un grand bouffeur de livres et un voyageur à l’épreuve de n’importe quelle tambouille. » Il y évoque son père, bibliothécaire à Genève, et constate : « Les hasards de la vie m’ont un peu marié aux bibliothèques. »
De l’illustration au voyage
Se destinant initialement à l’histoire et devenu photographe par nécessité, c’est en effet là qu’il a passé une bonne partie de son temps, cherchant les images que sa clientèle lui demandait pour illustrer les thèmes les plus divers, comme pour Le Grand livre du chien (La Bibliothèque des Arts, 1970). Iconographe était son second métier, « parce qu’il faut bien vivre », écrivait-il, mais pas seulement. À partir du fonds de 40 000 reproductions constitué par Bouvier, aujourd’hui déposé à la Bibliothèque de Genève, ainsi que des publications auxquelles il a contribué – plus de cent entre 1961 et 1998 –, l’historien de la photographie Olivier Lugon étudie ce pan de son activité dans Nicolas Bouvier iconographe (Bibliothèque de Genève et Infolio, 2020).
Il y décrit l’établissement de cette profession dont Bouvier a été, avec Jacques Ostier en France et Roger-Jean Ségalat en Suisse, l’un des principaux artisans dans les années 1960. L’édition illustrée était alors florissante et les institutions, comme la Bibliothèque nationale de France, favorisaient activement la circulation, par la reproduction photographique, des documents qu’elles conservent. Il en montre la part de création et y puise des éléments de réflexion sur les images, à l’heure de leur prolifération sans limite, à travers des pratiques fondées sur leur potentiel de narration.
iconographe était son second métier, « parce qu’il faut bien vivre », écrivait-il, mais pas seulement.
Un moment de l’histoire de la photographie s’y dessine, attachée à des lieux, à des objets et à des méthodes, comme dans Du coin de l’œil, recueil des écrits sur la photographie publiés par Nicolas Bouvier entre 1965 et 1996 (Éditions Héros-Limite, 2019). Celui-ci s’y présente alors comme un « chasseur d’images », un « voyageur qui écrit » ou un amoureux de l’imprimé dont les trésors lui font éprouver des «“flashs” de passé-présent ». Il dit également être un photographe préférant souvent les « photographies que l’on trouve » à « celles que l’on allait chercher », comme ce jour où, dans le quartier d’Azabu, à Tokyo, un simple mur est devenu un « décor » et le trottoir, une « scène » où les passants défilaient devant ses yeux, tels « les personnages toujours plus nombreux d’une histoire racontée dans une langue étrangère ».
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Nicolas Bouvier, La Guerre à huit ans, Chêne-Bourg (Suisse), Zoé, 2020, 80 pages, 6,50 euros.
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Olivier Lugon, Nicolas Bouvier, iconographe, Genève, Bibliothèque de Genève et Infolio, 2020, 160 pages, 26 euros.
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Nicolas Bouvier, Du coin de l’œil. Écrits photographiques, Genève, Éditions Héros-Limite, 2019, 224 pages, 14 euros.