Pour ce premier accrochage consacré à une œuvre longtemps restée confidentielle, l’institution rouennaise déploie dans trois salles une cinquantaine de pièces, issues de la Cité de la céramique, du musée des arts décoratifs de Rouen et de collections privées et familiales. « Quelques œuvres de Camille Moreau-Nélaton ont été présentées dans des expositions consacrées à l’art sous le Second Empire depuis les années 1950 mais la majorité de ses pièces sont conservées par les descendants et restent totalement inconnues », explique Alexandra Bosc, commissaire de l’exposition.
Les créations en question impressionnent, comme le charisme de leur créatrice. Issue de la haute bourgeoisie, Camille Moreau-Nélaton (1840-1897) dédaigne les mondanités. Jeune encore, elle préfère échapper aux bals pour courir dans les musées et les ateliers. « Il s’agit d’une personnalité hors du commun dans le rapport qu’elle entretient à son milieu et à ce qu’on attendait d’une femme de la haute bourgeoisie. Sous le Second Empire puis au début de la IIIe République, les femmes issues de la bourgeoisie restent chez elles et sortent peu, si ce n’est pour voir d’autres femmes. Si elles pratiquent des activités artistiques, ce sont des activités d’agrément », rappelle Alexandra Bosc, qui souligne chez la céramiste une « technique remarquable pour une amatrice ».
JEUNE ENCORE, ELLE PRÉFÈRE ÉCHAPPER AUX BALS POUR COURIR DANS LES MUSÉES ET LES ATELIERS
Formée jeune au dessin puis à la peinture, Camille Moreau-Nélaton a un coup de foudre pour le fameux service Rousseau de Félix Braquemond, inspiré de l’art japonais, qu’elle découvre à l’Exposition universelle de 1867 à Paris. Elle décide de s’orienter vers la céramique, encouragée par son mari, Adolphe Moreau, collectionneur et aquarelliste amateur. Formée auprès de Théodore Deck, qui lui enseigne le décor d’émaux polychromes sur faïence fine, elle trouve quelques années plus tard sa marque de fabrique : le décor à la barbotine colorée. Dans un style japonisant ou historicisant, les couleurs chatoyantes retiennent tous les effets de relief et de texture qui séduisent critiques et collectionneurs.
« Présentée au salon des Arts des femmes, elle fait partie des trois artistes distinguées par la critique », explique Alexandra Bosch. Parmi les pièces qu’elle présente à l’Exposition universelle de 1878, une grande partie a été vendue, à des proches mais aussi à des institutions et à des collectionneurs parfois étrangers.
La céramiste travaille inlassablement, et produit à un rythme de dix à vingt œuvres par an. Elle réalise des pièces uniques, aux motifs variés qui témoignent souvent d’une rare modernité : fruits et fleurs, carpes et oiseaux, branches de cerisiers… Et paysages industriels ! Dans une série étonnante, la figure allégorique de Saturne contemple un paysage parisien hérissé de toits d’immeubles et de cheminées d’usines. « Camille Moreau-Nélaton se sert de la surface de la céramique comme d’une toile de peintre », précise la commissaire. L’artiste a poursuivi son travail, interrompu par sa mort tragique en 1897 dans l’incendie du Bazar de la Charité.
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« Camille Moreau-Nélaton, une femme céramiste au temps des impressionnistes », jusqu’au 15 novembre, Musée de la céramique, 1, rue Faucon, 76000 Rouen.