L’univers d’Alexandre Leger (né en 1977), nourri de cataclysmes naturels et de désespoirs à la fois immémoriaux et d’une redoutable actualité, associe le dessin aux mots avec une jubilation évidente. L’artiste récupère des papiers anciens, registres imprimés et autres cahiers d’écolier, recouvrant par couches successives leur contenu – leçons de géographie ou d’anatomie, fiches médicales, etc. tout en préservant certains passages laissés lisibles, auxquels se mêlent des figures inquiétantes et des fragments textuels imaginés par lui. Une œuvre poétique et ironique sur une humanité malade, qui n’est pas sans rappeler, par ses accents cataclysmiques, les visions de William Blake ou de Théophile Bra. Le livre a été conçu par Alexandre Leger et le graphiste Arnaud Roussel, de la reliure pleine toile grise sérigraphiée en rose, dont les lettres semblent s’effacer, au format proche du carnet de notes. La qualité des reproductions a été particulièrement soignée afin de rendre les différentes natures de support, y compris sur les gardes, ornées d’aquarelles et de feuillets au quadrillage chahuté.
Dans un essai éclairé, Vincent Gille, qui d’ordinaire œuvre comme commissaire à la Maison de Victor Hugo (Paris), retrace la genèse du travail d’Alexandre Leger, son goût de l’écrit et sa nostalgie extrême face à l’inexorable fuite du temps. Un entretien, mené par Johana Carrier et Marine Pagès, les deux fondatrices des éditions Roven, complète ce texte, en donnant la parole à l’artiste. Ce dernier y analyse sa pratique de la collecte et de la série, mais aussi sa passion pour des écrivains qui entretiennent un lien fort avec l’image, à l’exemple d’Antonin Artaud, e.e. cummings, Pier Paolo Pasolini ou GeorgesPerec. Il y aborde également les mutations contemporaines à l’heure de la crise environnementale : «Cette question de l’avenir de la planète ou de l’état du monde est tout de même difficile à ignorer. Je crois qu’elle a toujours existé [...], mais de manière distante, centrée sur l’homme, son devenir, comme un exercice de pensée. Là, c’est réel, c’est trivial, et j’y perçois une forme de poésie qui n’y était pas forcément associée avant, car la nature a très longtemps été un idéal de beauté. » Dans le cadre du prix du Club des partenaires, le musée d’Art moderne et contemporain de Saint-Étienne Métropole, coéditeur de l’ouvrage, expose depuis le 30 novembre 2019 des dessins de l’artiste.