Rassurer et redonner de l’énergie : c’est une forte personnalité qui a été nommée hier ministre de la Culture par Emmanuel Macron, sur proposition du Premier ministre Jean Castex. Avec Roselyne Bachelot, c’est une femme politique aguerrie, ministre de l’Environnement et du Développement durable sous Jacques Chirac puis de la Santé sous Nicolas Sarkozy qui a été choisie pour succéder à Franck Riester, nommé ministre délégué au Commerce extérieur.
Venue de la droite tout comme son prédécesseur, cette gaulliste aux idées pour le moins libérales avait, en phase avec son époque, soutenu mordicus le Pacs contre son propre camp. Si depuis quelques années elle était rangée de la politique, où elle tranchait par son franc-parler et son humour, elle est restée populaire, ne serait-ce qu’à travers les émissions qu’elle animait jusqu’à récemment à la radio ou à la télévision. Si elle n’a pas eu à gérer précédemment des dossiers relevant de ses nouvelles fonctions, cette figure très cultivée brille par sa passion pour l’opéra, dont elle connaît personnages et interprètes sur le bout des doigts. Et le monde de la scène, musicale en particulier, a été durement touché par la crise sanitaire… C’est « une personne qui aura la carrure, l’intelligence et la culture qui permettront de redonner un enthousiasme une énergie à la politique des arts », avait précisé hier sur France Info l’ancien ministre de la Culture Jack Lang, confiant connaître son nom mais sans le dévoiler avant l’annonce officielle.
C’EST UN SECTEUR EN PLEINE TOURMENTE QUI ATTEND ROSELYNE BACHELOT
C’est un secteur en pleine tourmente qui attend Roselyne Bachelot. Une étude du ministère de la Culture publiée le 2 juillet a chiffré les pertes dues à la crise du coronavirus à 22,3 milliards, soit 25 % d’un chiffre d’affaires de 97 milliards d’euros. Dans ce vaste secteur employant, en tant que travail principal, 635 700 personnes, de nombreux domaines sont particulièrement touchés, dont les arts visuels (13 % du volume impacté), les musées, les galeries, le patrimoine, les arts vivants… Les lieux culturels et les expositions ont dû fermer rapidement leurs portes face à la pandémie, et commencent seulement pour beaucoup à les rouvrir… Autant dire que le portefeuille, aussi convoité soit-il, sera loin d’être une sinécure, les conséquences de la crise sanitaire s’ajoutant aux dossiers en cours.
Le remaniement ministériel marque le départ de Franck Riester de la Rue de Valois, qui a dû affronter les premiers mois de la crise. Nommé en octobre 2018, cet ancien député exclu des Républicains pour son soutien à Emanuel Macron, devenu député et président de son parti Agir (centre-droit), apportait au ministère de la Culture un pur profil politique. Contrastant avec sa prédécesseure Françoise Nyssen, venue de la société civile et restée en poste de mai 2017 à octobre 2018. Maire de Coulommiers (Seine-et-Marne) de 2008 à 2017, réélu au premier tour le 15 mars avec 58,84 % des voix, il s’était fait remarquer lors des débats sur les projets de loi Hadopi 1 et 2 sur la propriété littéraire et artistique sur Internet, dont il était rapporteur. Il devient ensuite membre du collège de la haute autorité chargé de la loi contre le piratage.
Parmi les grands dossiers qui l’attendaient Rue de Valois, la mise en place du Pass Culture, défendu d’abord par Françoise Nyssen et considéré comme un projet culturel clef de Macron, piétine encore. Au départ pensé comme un chéquier numérique de 500 euros pour les jeunes de 18 ans, le Pass pourrait être « réinventé » avec la crise. Dans son discours d'investiture, hier soir, Roselyne Bachelot a plaidé pour un « bilan d'étape apaisé ». Parmi les autres grands chantiers suivis par Franck Riester figure le Loto du patrimoine, annoncé par Françoise Nyssen et soutenu par Stéphane Bern, mais qui, au-delà du bénéfique coup de projecteur médiatique, ne rapporte en réalité à cette cause qu’une maigre fraction du prix des billets. Mais aussi la gestion du délicat dossier de la reconstruction de la cathédrale Notre-Dame de Paris et la grande réforme de l’audiovisuel public.
Dernière épreuve, et non des moindres, à laquelle Franck Riester a dû faire face, la crise sanitaire a particulièrement écorné son image. Cette épreuve fut également physique, puisque l’ex-ministre a dû mener lui-même le combat contre le virus. La visioconférence d’Emmanuel Macron face aux artistes, le 6 mai, auquel il assistait, avait aussi renforcé l’impression d’un simple figurant prenant des notes aux côtés du président. Franck Riester défendait encore la semaine dernière son action en faveur de la culture et des médias, en annonçant que le gouvernement avait mobilisé depuis la crise plus de 5 milliards d’euros pour le secteur. Une somme certes significative mais qui semble faible comparée aux 22,3 milliards d’euros de perte mentionnés plus haut, et qui représente un dixième des 50 milliards d’euros débloqués par l’Allemagne pour la culture et les médias. Mais ce soutien est cependant supérieur aux 1,5 milliard de livres promis hier au secteur par le gouvernement britannique.
La nouvelle ministre ira-t-elle plus loin pour relancer la Culture ? Plus qu’un plan Marshall financier, Jack Lang convoquait un autre temps fort de l’histoire moderne des États-Unis hier sur France Info : « Le temps est venu d’un véritable New Deal, d’une nouvelle donne, il faut refonder la politique des arts, donner un nouveau sens, de nouveaux horizons, de nouvelles frontières ». Un beau programme qui prendrait tout son sens, comme du temps de son ministère sous François Mitterrand, avec du temps et des moyens. Depuis vingt-cinq ans, la durée moyenne de fonction d’un ministre de la Culture ne dépasse pas deux ans. Le temps restant jusqu’aux prochaines élections présidentielles. « Le temps n'est plus à la temporalité de mes illustres prédécesseurs », a admis Roselyne Bachelot hier soir, qui s'est donnée pour mission d'être « la ministre des artistes et des territoires ».