Un mur de fac-similés imprimés sur une cimaise : ainsi s’ouvre l’exposition « Folklore ». Le ton est donné d’emblée. Tous les ouvrages reproduits, issus de la bibliothèque du musée des Civilisations de l’Europe et de la Méditerranée (Mucem), à Marseille, elle-même héritière de celle de l’ancien musée du Trocadéro, à Paris, puis du musée des Arts et Traditions populaires (qui a fermé ses portes en 2005), ne suffisent pas à définir cette notion. Inventé par l’intellectuel anglais William J. Thoms en 1846, le mot « folklore » signifie « les traditions du peuple ». En pleine naissance de l’ère industrielle, quelques personnages se présentent comme « folkloristes ». Souvent poètes ou dramaturges, ils sont un peu savants et un peu artistes.
Une infinie source d'inspiration
C’est précisément la rencontre entre ces traditions et les avant-gardes que l’exposition explore à travers les regards croisés de l’historien d’art en charge de la programmation au Centre Pompidou-Metz, Jean-Marie Gallais, et de la conservatrice au Mucem Marie-Charlotte Calafat. En apparence, il n’y a pas plus éloigné de la modernité que le folklore. Les récupérations de ces images par des régimes totalitaires sont connues. Pourtant, le folklore, qui porte souvent sur des formes de patrimoine immatériel, lié aux traditions orales, est aussi une source d’inspiration sans fin pour les artistes.
L’exposition commence à la fin du XIXe siècle, avec le voyage des peintres en Bretagne, à Pont-Aven – d’autres avant eux faisaient leur « GrandTour »enEurope.« J’aime la Bretagne, j’y trouve le sauvage, et le primitif. Quand mes sabots résonnent sur ce sol de granit, j’entends le son sourd, mat et puissant que je cherche en peinture », écrit Paul Gauguin. À cette époque déjà, ce folklore breton est en partie imaginaire, artificiellement mis à disposition des peintres qui se l’approprient en le transformant dans leurs toiles. La Guirlande de roses (1898) de Paul Sérusier évoque ainsi un rituel plus proche d’un conte que d’une réalité.
Quelques années plus tard, plusieurs artistes des avant-gardes du début du XXe siècle, comme Vassily Kandinsky et Gabriele Münter, se passionnent pour les jouets d’enfants, les peintures sous verre et les loubki, estampes populaires d’Europe centrale. L’exposition montre une partie de leur collection. Sont aussi réunis deux remarquables peintures à la tempera sur carton glacé de Kandinsky, dont le superbe Lied (1906) représentant une mythique fête nautique, et trois tambours ovales rarement exposés ; l’un d’eux est inspiré d’un petit panneau de bois à motif d’oiseau qui était en sa possession. L’appétit des Modernes pour le folklore apparaît également à travers l’oiseau Maiastra de Constantin Brancusi, issu des traditions de son Olténie natale. Une porte de ferme offerte au musée de l’Homme par le commissaire du Pavillon roumain de l’Exposition internationale des Arts et des Techniques, à Paris en 1937, fait écho à des images de sa Colonne sans fin (1938).
À l’approche de la Seconde Guerre mondiale, la manipulation du folklore se teinte d’ambigüités que le Centre Pompidou-Metz expose avec finesse. Comme l’écrit Anne-Marie Thiesse dans le catalogue, « dans la France pétainiste, le folklore a été imposé comme culture de masse alors que les apports étrangers récents étaient condamnés (la farandole contre le jazz) ». Des assiettes en céramique décorées de francisques côtoient dans les vitrines des santons à l’effigie du maréchal Pétain. La figure du folkloriste breton René-Yves Creston est évoquée dans sa complexité : d’abord résistant, adhérent au Parti communiste, puis collaborateur d’une revue pro-nazie et sympathisant du régime de Vichy. Autre singularité, à l’Exposition universelle de New York en 1939, qui a pour thème « le monde de demain », Georges-Henri Rivière, commissaire général pour la France (et fondateur du musée des Arts et Traditions populaires deux ans auparavant), choisit de montrer des danseurs de farandole du village de Barbentane en Provence.
Quand l'artiste et le folkloriste se rejoignent
L’exposition révèle des échantillons de broderies d’une diversité fascinante, répertoire de formes d’une richesse folle pour les artistes. En témoignent les superbes panneaux d’un paravent de Natalia Gontcharova, Les Espagnoles (1920-1924). Éléments incontournables du patrimoine immatériel, les contes et les mythes ont aussi inspiré les peintres modernes, des Géants de la montagne (1895-1896) d’Emil Nolde au Seigneur des trolls montagnards (1959) d’Asger Jorn.
La figure de l’artiste rejoint celle du folkloriste, et les collectes des musées se confondent enfin avec celles des créateurs. Jean-Marie Gallais écrit : « L’idée du musée comme lieu de l’individualité et lieu de la préservation du passé se trouve renversée : il devient le lieu du collectif, du vivant et de la créativité sous toutes ses formes. » À Metz est reconstituée la vitrine aujourd’hui célèbre consacrée au gardian, qu’abritait l’ancien musée des Arts et Traditions populaires, lui-même invoqué par Pierre Leguillon dans un merveilleux diapo- rama. L’œuvre et l’institution ne font qu’une lorsque sont évoqués le « musée d’anthropologie active » créé par Claudio Costa en 1975 dans le village ligure de Monteghirfo, le Folk Archive (2005) de Jeremy Deller et Allan Kane, ou le musée du Paysan roumain (fondé à Bucarest en 1990) qui a inspiré le jeune Florian Fouché. Il est enfin question d’un « folklore planétaire », principe forgé par Victor Vasarely, de quoi réfléchir à l’époque contemporaine.
« Folklore », 21 mars - 4 octobre 2020, Centre Pompidou-Metz, 1, parvis
des Droits-de-l’Homme, 57000 Metz.