Dominé par la présence obsessionnelle et vaguement menaçante du Vésuve, le site archéologique de Pompéi, inscrit depuis 1997 sur la Liste du patrimoine mondial de l’humanité de l’Unesco, offre l’instantané, quasi photographique, d’une florissante cité romaine du 1er siècle de notre ère. Sans l’éruption brutale du volcan qui l’enveloppa, en l’an 79, d’un manteau de pierres et figea dans une sidération muette la totalité de la ville et de ses habitants, l’imaginaire des ruines chez les voyageurs et les artistes n’aurait sans doute pas été le même…
le site de Pompéi est extraordinaire dans la mesure où il nous permet d’entrer dans la vie quotidienne du petit peuple, et pas seulement des élites et des classes aisées.
Mais, près de trois siècles après sa découverte en 1748, sous le règne de Charles III d’Espagne, force était de constater que Pompéi « vivait une seconde mort ». Subissant l’assaut de près de quatre millions de touristes par an, les pavés de ses voies se déchaussaient, les fresques de ses villas perdaient de leurs couleurs et s’écaillaient inexorablement… Aussi, lorsque des pluies diluviennes provoquèrent, à la fin de l’année 2010, l’effondrement de la Schola Armaturarum (Maison des gladiateurs) et de la Maison du moraliste, archéologues et scientifiques s’émurent et lancèrent un cri d’alarme. Deux ans plus tard naissait le Grande Progetto Pompei (Grand Projet Pompéi), doté d’un budget de 105 millions d’euros financé par l’État italien et l’Union européenne.
En cet hiver 2019, nous rencontrons dans son bureau le professeur Massimo Osanna, qui occupe, depuis 2014, le très convoité poste de directeur général du parc archéologique,auquel il vient d’être reconduit. « Des 66 hectares sur lesquels s’étendait la ville antique, seuls 44 hectares ont été dégagés. Mais aujourd’hui, notre priorité est de stabiliser sur une longueur de 3 kilomètres les talus de 5-6 mètres de haut qui menacent de s’effondrer sur les zones déjà mises au jour. Ce sont donc des problèmes de conservation du site qui dictent notre programme de fouilles », explique ainsi l’archéologue, en réponse aux critiques de ses détracteurs qui lui reprochent d’être à l’affût de nouvelles découvertes.
Rechercher pour mieux découvrir
Il faut dire que Pompéi est un eldorado inépuisable où les merveilles affleurent tels des récifs à marée basse, comme cette fresque exhumée le long de la via del Vesuvio représentant l’étreinte sensuelle de Léda, la reine de Sparte, avec Zeus métamorphosé pour la bonne cause en un majestueux cygne blanc. « Lors de nos travaux de stabilisation des pentes, un léger éboulement de lapilli [pierres volcaniques] a soudain fait surgir le détail d’un personnage humain. Nous n’avons pas eu le courage d’interrompre la fouille, et la fresque de Zeus et de Léda est apparue dans sa miraculeuse beauté », raconte avec émotion l’archéologue.
Conduites de novembre 2017 à avril 2019, dans un périmètre trapézoïdal de 1000 m2 donnant sur la via di Nola, au cœur d’un quartier encore inexploré baptisé Regio V, d’autres fouilles ont révélé, quant à elles, l’existence de deux vastes demeures : la Maison au jardin, nommée ainsi en raison de son bel espace vert et, précédée d’une habitation plus modeste, la Maison d’Orion, dans laquelle ont été mises au jour deux mosaïques exceptionnelles représentant le héros chasseur. Il faut voir, là encore, le regard de Massimo Osanna s’allumer lorsqu’il explique avec fougue l’iconographie, totalement inédite, d’un des deux pavements : « La déesse Gaïa a envoyé un scorpion pour punir Orion de s’être vanté de vouloir tuer tous les animaux de la terre. Mais on assiste ici à une scène très rare, qui n’est autre que la transformation du héros en constellation. Ses ailes de papillon symbolisent sa métamorphose.»
Parmi les splendeurs exhumées à ce jour, l’on découvre une magnifique fresque représentant la Néréide Amphitrite qui ornait vraisemblablement la devanture d’un thermopolium, sorte de fast-food du monde romain. Son degré de raffinement en dit long sur la richesse de la petite cité vésuvienne !
Brossée d’un trait plus rapide, une autre peinture montre deux gladia-teurs s’affrontant dans un farouche combat. On reconnaît le vaincu aux flots de sang qui s’échappent de ses blessures… « Le site de Pompéi est extraordinaire dans la mesure où il nous permet d’entrer dans la vie quotidienne du petit peuple, et pas seulement des élites et des classes aisées. Cette fresque provenait vraisemblablement d’une échoppe ou d’une taverne fréquentée par des gladiateurs ou des amateurs de combats », suggère Massimo Osanna.
Mais au-delà de ses trésors, Pompéi s’avère un formidable « laboratoire de recherche » qui offre aux archéologues l’occasion d’expérimenter de nouvelles méthodologies. « Composée de soixante personnes, notre équipe est pluridisciplinaire et comprend des architectes, des ingénieurs, des topographes, des géologues, des anthropologues, des archéozoologues, des paléobotanistes, des restaurateurs, des épigraphistes, des informaticiens, des photographes… C’est en outre la première fois que l’on peut conduire une campagne de fouilles de cette ampleur avec l’apport des technologies les plus modernes », se félicite ainsi Massimo Osanna.
La plus grande fierté de l’archéologue et de son équipe réside cependant dans cette inscription, de prime abord modeste, découverte au cœur de l’atrium de la Maison au jardin. Tracée rapidement au fusain, elle contredit purement et simplement la date auparavant admise de l’éruption du Vésuve. La tragédie se serait en effet produite à la fin du mois d’octobre de l’an 79, et non le 24 août comme on le pensait jusqu’alors…
À grand renfort de projections immersives et de reconstitutions 3D réalisées par la société Gedeon Programmes, l’exposition du Grand Palais invitera ainsi le public à partager l’émotion de ces toutes dernières découvertes, scientifiques et spectaculaires à la fois. Frissons garantis !