Comment vivez-vous personnellement ce confinement ?
À côté du directeur d’institution frustré de ses rencontres, de ses déplacements, des lieux si exceptionnels que ce métier offre de découvrir, le chercheur et l’écrivain a toujours eu en lui un côté confiné. Mon univers, c’est alors l’étendue du bureau avec ses livres comme autant de fenêtres sur un monde intériorisé. La lecture a trouvé une place plus importante dans ces journées qui semblent ne plus former que des séquences collées les unes aux autres sans réelle fin. Je dois avouer que j’aime assez bien le côté déstructuré de cette vie. Elle incite à plus de créativité. Même si elle a aussi sa part d’incertitude et d’angoisse face à des événements que nos sociétés avancées pensaient d’un autre âge.
LE COVID-19 N’EST RIEN À CÔTÉ DU CHANGEMENT CLIMATIQUE
Comment les Musées royaux des beaux-arts de Belgique se sont-ils organisés ?
Le personnel – conservateurs, scientifiques, personnel administratif, services au public… – qui le pouvait a été rapidement mis en télétravail. Ce système qui était employé avec une parcimonie soupçonneuse est devenu la norme. Il sera bon de la prolonger car elle favorise l’épanouissement – quand elle n’est pas imposée – et contribue à désengorger la circulation et à moins polluer nos villes. J’habite en plein Bruxelles et l’air est redevenu respirable. Il faudra préserver autant que faire se peut cet élément positif.
Car le Covid-19 n’est rien à côté du changement climatique pour lequel aucun gouvernement n’a jamais jugé nécessaire de tout arrêter comme on vient de le décider. Le personnel qui ne pouvait plus travailler et n’avait, à l’instar du gardiennage, aucune possibilité de télétravail a été renvoyé chez lui. Je reçois de nombreux messages me disant que le désœuvrement pèse et que le musée manque. Il leur manque comme le public fait défaut aux œuvres.
Restent sur place, la sécurité qui est permanente, une cellule comptable pour honorer nos factures au plus vite afin de soutenir les petites entreprises qui traversent une crise sans précédent, une cellule technique et d’entretien (on en a profité pour exécuter de nombreux petits travaux toujours différés) et régulièrement le directeur. Je viens signer ces factures et j’en profite pour filmer des capsules dans le musée vide que je poste sur Facebook et Instagram pour visiter entre « amis » le musée endormi. Ce sont des visites sans prétentions entre notices et anecdotes. Je reçois aussi des demandes pour aller voir et commenter tel ou tel tableau… Les derniers en date : Les Bas-Fonds de Félicien Rops et L’enlèvement du corps de Saint Marc de Tintoretto. Ça me donne l’occasion d’étudier les œuvres. De prendre le temps de les regarder. Ce que je n’ai pas réellement le temps de faire au quotidien. Une manière de redécouvrir l’essentiel…
Et pour tous, le rythme des réunions, cette maladie héritée du siècle passé, a trouvé une forme nouvelle avec les plateformes de vidéoconférence via le Net. J’espère que ce sujet inspirera écrivains et cinéastes car c’est un vrai sujet de société en soi. Et une tranche de vie quand on y passe six ou sept heures.
Sur quels projets travaillez-vous pendant cette période ?
Dans un premier temps, nous avons fait basculer un maximum de contenus sur le site et les réseaux sociaux. Comme nombre de grandes institutions, nous avons sorti un maximum de séquences archivées pour animer la toile et rester au contact de nos visiteurs. Pour les adultes comme pour les enfants. Et la dimension participative apparaît de plus en plus comme un élément déterminant de ce contact. En témoignent les campagnes menées par le Rijksmuseum à Amsterdam ou le Metropolitan Museum of Art à New York, mais aussi par des particuliers – notamment en Italie – invitant à se transformer en chefs-d’œuvre vivants, à se photographier et à se poster sur les réseaux sociaux. C’est en ce sens que nous comptons nous engager tout en valorisant l’outil éducatif. Le site doit devenir à terme l’autre face du musée.
Nous profitons aussi de l’occasion pour entreprendre des travaux de réfection et d’entretien du bâtiment, ce qui n’est pas aisé quand on ouvre 7 jours sur 7 comme c’est le cas du Musée Magritte.
En matière d’exposition, il est clair que la situation exceptionnelle que nous connaissons perdurera même lorsque les populations ne seront plus confinées. Les gestes barrières et la distanciation sanitaire ne feront pas bon ménage avec des manifestations dont l’économie exige une rentabilisation sur quatre mois. Ces expositions relèvent d’une culture de l’événement qui, à l’instar des salles de concert, des théâtres et des cinémas, posera problème jusqu’à la vaccination massive des populations. Nous avons donc reporté l’ensemble de notre programmation au-delà de mars 2021. Cette période sera intégralement dévolue aux collections. Il s’agira de les rapprocher d’un public qui n’est pas celui qui usuellement nous visite de manière majoritaire. Sur les 1,1 million de visiteurs accueillis en 2019, le public étranger représentait toujours quelque 60 %. L’été ne sera pas propice aux transhumances. C’est sans doute une opportunité pour nous de nous lier plus étroitement à notre public naturel. C’est-à-dire à la communauté au cœur de laquelle nous existons et pour laquelle nous jouons un rôle patrimonial fort. Cet angle d’approche n’est pas neuf, mais il va sans doute prendre une importance nouvelle.
Quels dispositifs avez-vous ou allez-vous mettre en place pour rester en contact avec le public ?
Les réseaux sociaux sont devenus des éléments structurants d’une certaine conscience sociale. Le musée doit prendre la mesure de ces nouveaux rapports qui se développent à un rythme que la crise actuelle a singulièrement accéléré. Musée physique et musée virtuel doivent se répondre et conduire de l’un à l’autre. Nous allons donc multiplier les initiatives en ce sens. Manquent à notre palette : des visites on line des salles et un outil d’exposition virtuelle qui permette de s’emparer des collections et d’en faire une multiplicité de récits personnels et interactifs.
Le confinement individuel se muant sans doute en un confinement collectif avant que les frontières ne s’ouvrent à nouveau largement, nous nous concentrerons aussi sur nos missions à l’égard de la société qui est la nôtre. Celle qui compose notre culture, qui agit directement sur notre identité et notre manière de penser. Notre fonction sociale doit faire l’objet d’un examen. L’été dernier, nous avions eu une initiative à destination des personnes âgées lors de la canicule. Le musée (climatisé) était gratuit pour les plus de 65 ans. La forte fréquentation qui s’était ensuivie avait montré tout l’intérêt qu’il y avait à développer des activités spécifiques. La crise du Covid-19 est venue et ce qui se passe dans les maisons de retraite est une honte qui dit clairement ce que vaut moralement notre société.
Nous voulons contribuer à une transformation. Nous avons mis en ligne des contenus à l’usage des aînés et j’espère que nous pourrons développer à l’avenir des projets ciblés sur les maisons de repos. Notamment en cas de retour de la canicule. Nous négocions avec les autorités locales notre participation à une plate-forme qui rendrait nos actualités digitales accessibles dans ces lieux trop peu intégrés.
MUSÉE PHYSIQUE ET MUSÉE VIRTUEL DOIVENT SE RÉPONDRE ET CONDUIRE DE L’UN À L’AUTRE
Le musée revoit donc aujourd’hui son mode de fonctionnement. La crise économique qui s’approche nous dissuade d’aller encore à la recherche de moyens publics pour de grands projets. Nous essayons d’adopter une politique de décroissance intelligente qui nous ancre davantage dans le tissu social auquel nous appartenons. C’est notre devoir de répondre aux dysfonctionnements et inégalités que la crise a mis en relief. Le musée vit au cœur de la société. Son dédoublement entre musée physique et musée digital en fait une expérience multiple d’autant plus essentielle.