Comment vivez-vous personnellement ce confinement ?
Au-delà du caractère alarmant de l’état du monde, cette période est une occasion unique de ralentir, prendre du recul et se donner le temps de réfléchir. C’est là que l’on réalise la quantité de projets et de chantiers engagés simultanément, combinés à la lourde logistique de nos institutions, émaillée d’échéances. Les objectifs sont souvent trop ambitieux pour les achever avec philosophie, justesse et la distance nécessaire. J’ai la conviction qu’il est temps de se recentrer sur l’essentiel. Le confinement permet de m’immerger dans les travaux d’artistes que nous programmons, de mieux comprendre la collection, mais aussi de regarder ailleurs. Des lectures d’ouvrages littéraires visionnaires, les débats d’idées sur ce que nous vivons actuellement, des documentaires et des films d’art et d’essai me nourrissent quotidiennement, m’ouvrent toujours plus à l’altérité tout en me procurant beaucoup de plaisir.
DANS LES SALLES, LE TEMPS S’EST ARRÊTÉ, ŒUVRES ET EXPOSITIONS SEMBLENT RECOUVERTES D’UN VOILE FANTOMATIQUE
Comment le musée d’art moderne et contemporain de Saint-Étienne Métropole s’est-il organisé ?
Nous avons vite évalué les chantiers qui pouvaient être menés en télétravail. La Métropole de Saint-Étienne a pu équiper les personnels afin de poursuivre notre prochain catalogue des collections, continuer l’inventaire, la rédaction de notices et leur indexation dans la photothèque, avancer sur notre étude de nouveau centre de conservation, rester en contact avec les institutions auxquelles nous avons prêté nos œuvres (actuellement une quarantaine réparties en Europe, en Inde et au Japon) tout en repensant notre programmation de l’été et de l’automne, fortement bousculée. Nous devons à la reprise retourner une centaine d’œuvres de l’Arte Povera en Allemagne, en Italie… avant d’accueillir, nous l’espérons, à la réouverture des frontières, les sculptures de Robert Morris en provenance du Mudam du Luxembourg. C’est aussi un moment unique pour former nos nouvelles équipes d’accueil, tout en menant un bilan rétrospectif sur nos publics. Des rondes techniques ont lieu chaque jour au musée, afin de contrôler l’hygrométrie de nos réserves et de veiller sur les œuvres exposées. Dans les salles, le temps s’est arrêté, œuvres et expositions semblent recouvertes d’un voile fantomatique. En résumé, plus de cinquante personnes sont mobilisées, soit les trois quarts de notre équipe. C’est une belle image de ce que nous pouvons construire ensemble dans ces temps hostiles, même à distance.
Quels projets prévoyez-vous pour l’après crise sanitaire ?
Aujourd’hui, il est encore tôt pour tirer un bilan et envisager les suites de manière immédiate. Je me suis engagée depuis deux ans à ralentir la cadence de la programmation, envisager des expositions plus accessibles, en étant plus longues et documentées tout en portant une attention à leur impact écologique dans leur scénographie, leur mode de production alors que les moyens économiques s’essoufflent. J’ai également souhaité développer une programmation annuelle autour de notre immense collection, tout en questionnant l’histoire de notre territoire. Parfois, les trésors sont à nos pieds, il faut savoir les révéler. Cette crise m’invite intimement à poursuivre dans cette voie. Le temps d’une production à outrance est passé et la sagesse est de mise.
Quels dispositifs avez-vous ou allez-vous mettre en place pour rester en contact avec le public ?
En lien avec l’initiative nationale du ministère #Culturecheznous, plusieurs publications sur les réseaux sociaux ont déjà mis en avant nos ressources en ligne, comme notre chaîne YouTube proposant des interviews d’artistes (Pierre Buraglio, Valérie Jouve…), notre interface d’exploration des collections ou notre blog. Des « visites confinées » révéleront bientôt nos expositions œuvre par œuvre, de Firenze Lai à Marisa Merz. Plus créatifs, des ateliers sont proposés à partir des œuvres de la collection : une œuvre géométrique d’Auguste Herbin reconstituée par un jeu de bouchons multicolores ou les formes orangées d’un Kupka transposées dans un camaïeu de tissus et autres objets ovoïdes. On est émerveillés de découvrir chaque jour les créations des internautes, dès l’âge de 2 ans !
Face à la prolongation du confinement et dans l’optique de susciter de nouvelles visites virtuelles en vidéo, nous nous questionnons sur la meilleure façon de faire littéralement « rentrer » le public dans nos salles. Un peu aussi en écho à cette exposition sacrifiée par la fermeture du musée, consacrée aux formes performatives de l’Arte Povera : « Entrare nell’opera ».