Comment vivez-vous personnellement ce confinement ?
Ce confinement intervient dans une période très particulière pour le Centre Pompidou, il fait suite à une expansion assez spectaculaire de l’établissement. Nous avions ouvert le Centre Pompidou à Shanghai, reconduit le partenariat avec le Centre Pompidou à Malaga, commencé les travaux de Kanal Centre Pompidou à Bruxelles et étions sur le point de signer avec la Corée. Le projet d’installation à Massy, dans l’Essonne, d’un Centre de nouvelle génération combinant réserves et action culturelle, était sur les rails. À Paris, nous venions d’ouvrir plusieurs expositions et nous nous apprêtions à inaugurer une magnifique rétrospective des années parisiennes de Christo et Jeanne Claude. C’est alors, juste avant le vernissage, que tout s’est arrêté…
LES PRATIQUES CULTURELLES SONT L’UN DES OUTILS ESSENTIELS POUR TRAVERSER CETTE CRISE
L’effet déstabilisant est redoutable. Dans nos sociétés européennes, nous sommes bien peu préparés à admettre qu’un événement extérieur à l’homme puisse ainsi tenir l’homme en échec. Puis, vient le sentiment de solidarité, d’empathie. Le souci des autres – la famille, les collaborateurs du Centre, les amis, les professionnels spécialement exposés – balaie la « dépression de la fermeture ». J’ajoute deux choses. D’abord, il y a cet irréductible désir d’action – un trait marquant de nos établissements muséaux français aujourd’hui – qui fait que très vite, on trouve dans les contacts virtuels et les réunions en ligne de quoi se projeter et commencer à habiter l’après-épidémie. À cet égard, l’annonce de la réouverture du Centre Pompidou de Shanghai m’a fait chaud au cœur. Ensuite, j’ai été frappé de constater à quel point ce confinement à domicile a pour effet de hiérarchiser en profondeur les préoccupations et même de donner des goûts nouveaux. On se réinvestit soi-même, comme dirait Marcel Duchamp, on relit Apollinaire comme si on le découvrait, on rêve que l’on crée le Centre Pompidou à partir d’une page blanche…
Comment votre institution s’est-elle organisée ?
Nous avons rapidement constitué une cellule de crise et activé le plan de continuité d’activité pour les fonctions dites « essentielles ». Ce sont celles liées à la sûreté des bâtiments, à la maintenance des systèmes d’information, au suivi administratif et financier. Aujourd’hui, seuls les agents strictement nécessaires à la sécurité incendie, à la sûreté et à la maintenance des bâtiments et de nos réserves sont mobilisés sur place. Je salue leur sens des responsabilités. Par ailleurs, nos systèmes d’information permettent le travail collaboratif à distance. Adaptés pour accompagner le développement international du Centre, ces outils se révèlent également très utiles dans cette période. La plupart des agents du Centre Pompidou travaillent ainsi depuis leur domicile, encadrés par leurs directeurs ou chefs de service car les projets – même s’ils sont décalés – doivent se poursuivre. Dans certains services, le rythme de travail est considérable : je pense en particulier à ceux qui traitent les questions de personnel (il a fallu notamment préparer la paye à distance), ou les questions informatiques, ou encore ceux qui renforcent notre présence en ligne.
Sur quels projets travaillez-vous pendant cette période ?
Dans les premiers jours du confinement, les équipes ont été mobilisées pour à la fois gérer les conséquences de cette crise sur la programmation et proposer très rapidement la mise en ligne, sur notre site Internet et nos réseaux sociaux, de contenus venant nourrir l’initiative du ministère de la Culture, #culturecheznous. C’est un redoutable exercice de gérer les reports de vernissages et les incertitudes pesant sur les prêts, et encore davantage lorsqu’on ne dispose pas de certitude sur le délai et les conditions d’un retour à la normale. Au moins, nous avons eu la grande satisfaction d’accompagner les équipes du Centre Pompidou x West Bund Museum à Shanghai pour sa réouverture le 20 mars. Nous pouvons reprendre avec eux le travail de la programmation pour le public chinois qui peut à nouveau découvrir nos expositions et la richesse de notre collection. J’espère également, une fois passé le choc initial et traitées les urgences, pouvoir échanger avec mes équipes sur la situation du Centre Pompidou, ses projets, son avenir proche ou plus lointain. Il faut mettre à profit ce bien rare et précieux dont nous disposons aujourd’hui dans une certaine mesure : la disponibilité de l’esprit.
Quels dispositifs avez-vous ou allez-vous mettre en place pour rester en contact avec le public ?
Les pratiques culturelles sont l’un des outils essentiels pour traverser cette crise. Elles aident à supporter l’isolement social, elles renforcent moralement. J’ajoute que l’on peut dans ce contexte découvrir de nouvelles façons de rencontrer l’art. Il n’y a plus, bien sûr, le contact direct avec l’œuvre (à moins qu’elle ne soit numérique), mais, en contrepartie, la navigation sur Internet permet un vagabondage, des rencontres, des découvertes inattendues, des initiatives nouvelles. Le confinement peut après tout déboucher sur de véritables expériences artistiques. C’est pour cela que le site Internet du Centre Pompidou s’est transformé en une plateforme de contenus numériques, accessibles à tous et gratuits. L’offre est très riche : visites des grandes expositions en vidéo, podcasts consacrés aux chefs-d’œuvre de la collection ou à des thématiques telles que « Art et féminisme » ou « Art et thérapie », master class de cinéastes ou metteurs en scène. Nos MOOC pour se former à l’art moderne et contemporain ont également rouvert et nous diffusons la web série « Mon Œil » à destination des enfants. Sur les réseaux sociaux, nous restons également très actifs durant cette période et espérons lancer prochainement le premier jeu vidéo pour explorer l’art moderne et contemporain !
Dans la situation difficile que nous vivons, je suis heureux de pouvoir offrir à tous les publics cette mine impressionnante de ressources numériques. Avec l’espoir que la force de cette offre dans une situation de confinement suscite aussi de nouvelles formes durables de consommation culturelle, touche de nouveaux publics et leur donne envie de venir au Centre Pompidou dès sa réouverture. Nous serons prêts pour les accueillir à nouveau !