Célébrée aujourd’hui comme une figure majeure de la création contemporaine, l’artiste et auteure libano-américaine Etel Adnan (née à Beyrouth en 1925) a connu une reconnaissance tardive. Son œuvre plastique reste rare dans les collections des institutions françaises. Aussi, l’entrée d’un ensemble important d’œuvres d’Adnan au LaM (Lille Métropole musée d’Art moderne, d’Art contemporain et d’Art brut), à Villeneuve-d’Ascq, constitue un événement. À l’instigation de son directeur Sébastien Delot, le musée nordiste a en effet acheté trois peintures historiques et deux leporellos – ces carnets aux feuillets repliés en accordéon qui se déploient comme des panoramas –, achat complété d’une donation par l’artiste d’une vingtaine de dessins. À l’automne 2019, le LaM a présenté cet ensemble au public en le confrontant au travail d’autres artistes dont Etel Adnan est proche, à l’exemple de la sculptrice et graveuse Simone Fattal (née à Damas en 1942).
À l’occasion de l’exposition au LaM, Manuella Éditions font paraître Présence des signes, livre qui réunit, sous la plume de la poétesse Eugénie Paultre (née à Paris en 1980), Etel Adnan et Simone Fattal. Cet ouvrage soigné, illustré de détails des carnets de l’une et des eaux-fortes de l’autre, s’inscrit dans une tradition à la fois intellectuelle et éditoriale : celle des innombrables plaquettes, chéries des bibliophiles, qui entremêlent depuis le début du XXe siècle les voix des écrivains et des artistes.
Eugénie Paultre insiste sur le rôle d’artistes comme Adnan et Fattal « pour résister à la terrifiante désertion du monde »
Parmi les précédents les plus célèbres, citons les opuscules de Tristan Tzara, Paul Éluard et Francis Ponge consacrés à Francis Picabia, René Magritte ou Jean Fautrier. Ce faisant, Paultre réactive une forme d’ekphrasis qui, libérée des contraintes d’une critique d’art orthodoxe, donne littéralement à voir. Car il y a quelque chose de visionnaire dans la prose de Paultre. Au fil des pages, elle insiste sur le rôle d’artistes comme Adnan et Fattal « pour résister à la terrifiante désertion du monde», artistes qui, précisément, assistent depuis des décennies au naufrage du Proche-Orient de leur enfance. C’est là que réside la force de ce texte, dans la croyance que les mots et les formes au service de la représentation lancent des signaux dans notre nuit. Ces mêmes signaux qui permettent à qui sait les recevoir de s’opposer au délitement du monde : « C’est peut-être à cette inventivité qu’il faut aujourd’hui tout particulièrement puiser pour faire face à notre époque – opaque, effrayante, terriblement exigeante.»
Eugénie Paultre, Présence des signes : Etel Adnan – Simone Fattal, Paris, Manuella Éditions, 2019, 80 pages, 12 euros.