Gio Ponti en long et en large : pour la première fois, une exposition aborde dans sa globalité la profuse carrière de l’architecte italien. À Rome, le MAXXI a collaboré avec les archives de l’université de Parme, sur lesquelles repose en quasi-totalité cette rétrospective inédite riche en dessins, modèles, maquettes, photographies, agrémentés de quelques pièces de mobilier ou de services de table. « Ces archives ont longtemps été difficiles d’accès. L’idée est de leur donner de la visibilité, mais aussi de montrer les facettes de l’architecte dans un panorama à 360 degrés abordant ses différentes composantes politiques, géographiques et chronologiques », confie Maristella Casciato, senior curator du fonds d’architecture du Getty Research Institute à Los Angeles et co-commissaire de l’exposition avec Fulvio Irace. Rien à voir donc avec l’exposition du MAD-Paris en 2018-2019, qui s’appuyait surtout sur les archives familiales et mettait un fort accent sur le design.
Ce qui frappe, au gré du parcours, c’est le nombre de projets réalisés dans le monde entier, en plus de l’Italie où il s’est montré très actif. « C’était un architecte global avant la lettre. Il a travaillé un peu partout, de l’Amérique latine au Moyen-Orient et jusqu’à Hongkong, souligne Maristella Casciato. Sa revue, Domus, publiée en cinq langues, diffusée et connue partout, a été pour lui un passeport extraordinaire, un formidable passe-partout ». L’exposition consacre une section à cette publication phare que Gio Ponti voyait comme « un legs pour le monde entier », explique-t-il dans un entretien télévisé. Judicieusement, le MAXXI a commandé à des photographes une série d’images de ces constructions in situ aujourd’hui, de Milan à Caracas.
« Gio Ponti a beaucoup travaillé chez la haute bourgeoisie en Amérique latine, souvent chez des collectionneurs de sculptures et de peintures modernes italiennes, comme pour la villa Planchart à Caracas. Il commence d’ailleurs avec l’Amérique du Sud, et pas du Nord, créant des liens avec la communauté italienne. Puis ses projets se sont multipliés. Je crois qu’il était aussi très flexible, capable d’accepter des conditions de travail pas toujours évidentes, de prendre des risques », explique la commissaire.
Loin de la certaine rigidité de son contemporain Le Corbusier (auquel il survivra de 14 ans), les plans en couleur exposés au MAXXI révèlent une rare inventivité et un brin de fantaisie, tel l’étonnant projet circulaire qui semble inspiré par les lobes d’un cerveau pour la villa de Daniel Koo en Californie.
Dans les années 1930, réalisant des maisons privées à Milan, « il trouve alors la définition de l’appartement bourgeois en le dotant d’une flexibilité novatrice des espaces. Sa demeure personnelle à Milan en sera le manifeste », précise la commissaire. Après la Deuxième Guerre mondiale, Ponti réalise moins de maisons privées en Italie et se consacre davantage à de grandes commandes pour des industriels notamment, dont l’emblématique tour Pirelli à Milan.
Son style ? Un modernisme éclectique teinté de classicisme, reflet de sa formation à Milan, qui n’est guère internationale ou à l’américaine. Ponti sait s’adapter aux lieux, à l’instar de la zone montagneuse entourant le singulier Denver Art Museum aux États-Unis, qui subit actuellement un lifting complet. À l’image de sa célèbre chaise superleggera que l’on peut tenir avec une seule main, l’architecture doit pour lui fuir sans cesse la pesanteur. L’Italien conçoit – c’est l’une de ses signatures – les façades comme des feuilles que l’on peut évider à l’envi. Pour des grands magasins de Bijenkorf à Eindhoven (Pays-Bas) dans les années 1960, il laisse le troisième étage vide et ajouré, et le ciel visible à travers les fenêtres. A-t-il pensé au « palais des vents » de Jaipur en Inde ? On retrouve ce principe d’évidement dans la spectaculaire co-cathédrale Gran Madre di Dio (1963-1971) à Tarante : une nef en longueur surmontée d’un édifice vertical en moucharabieh qui renouvelle le vocabulaire architectural chrétien. « Gio Ponti était très catholique, souligne la commissaire. Il a pu réaliser en Italie nombre d’églises ou de chapelles de couvents grâce au soutien du Vatican. L’Église lui a laissé une grande liberté ».
Comment Gio Ponti a-t-il eu la capacité de passer de l’héritage néoclassique de ses débuts, dont témoignait l’exposition du MAD à Paris mais aussi, ici, les photos et plans de l’université de Padoue à l’esprit Renaissance, aux gratte-ciel modernistes des années 1970, sans jamais renier son caractère propre ? Didactique et colorée, l’exposition ne donne pas de réponses aux mystères de ce génie transalpin. « Beaucoup d’architectes de notre époque sont habités par l’absolutisme et oublient le côté humain. Je ne veux pas entendre parler de maisons pour tous, reproductibles. La qualité, c’est respecter le peuple », dit-il dans un entretien accordé à la RAI que l’on peut écouter dans l’exposition. Très différent d’un Le Corbusier, il possède néanmoins un point commun avec le Suisse naturalisé français. « Comme lui, il s’est retrouvé à un moment charnière de l’histoire contemporaine, où dans le contexte du postcolonialisme certains pays ont cherché à travers l’architecture à se forger une identité nouvelle. Dans le cadre de l’ex-empire britannique, tous deux ont reçu des commandes publiques très intéressantes, en Inde à Chandigarh pour Le Corbusier, et à Islamabad au Pakistan pour Ponti », constate Maristella Casciato. L’Italien y réalisera les imposants bâtiments du Parlement, dont « les dessins et plans de ces réalisations n’avaient jamais été exposés ». L’an prochain, le MoMA à New York s’emparera justement de ce passionnant sujet de la transformation architecturale et ses dimensions politiques en Orient – de l’Inde à la Chine – dans l’ex-empire britannique après la Seconde Guerre mondiale…
« Gio Ponti. Loving Architecture », jusqu’au 13 avril, MAXXI, 4A via Guido Reni, Rome, Italie.