Fruit d’une étroite collaboration scientifique entre archéologues français et saoudiens, « AlUla, Merveille d’Arabie » ne s’est pas faite sans vagues. « Cette exposition est née d’un véritable coup de foudre, confie Jack Lang, président de l’Institut du monde arabe. J’ai eu le privilège d’être invité il y a cinq ans en Arabie saoudite par le gouverneur de Médine, un homme d’art et de culture. J’ai alors découvert le site archéologique d’AlUla et j’ai immédiatement ressenti un choc esthétique, émotionnel, affectif. Quelque temps plus tard, j’ai été contacté par une personne de la Commission royale pour AlUla qui œuvre pour la mise en valeur du site, et l’idée d’une exposition à l’Institut du monde arabe a pris forme peu à peu. À l’époque où nous avons imaginé ce projet, c’est-à-dire il y a un peu moins de deux ans, il n’était nullement question de retombées financières ou touristiques. J’assume donc totalement cette exposition, qui est avant tout le fruit d’une exceptionnelle collaboration entre nos deux pays et est portée par un double commissariat scientifique : celui de l’épigraphiste française Laïla Nehmé et de l’archéologue saoudien Abdulrahman Alsuhaibani ».
Car certaines voix n’ont pas manqué de s’élever pour dénoncer cette opération de séduction destinée au plus large public présentant, à grands renforts de projections immersives réalisées par le photographe Yann Arthus-Bertrand, l’exceptionnel patrimoine de cette vallée qui a vu se succéder sur son sol et sur plus de 7 000 ans des peuples du Néolithique, les puissants royaumes de Dadan et Lihyân, la florissante civilisation nabatéenne, l’Empire romain, les califats ommeyade et abbaside, puis les Ottomans… C’est peu de dire, en effet, le choc ressenti par le visiteur lorsqu’il découvre la beauté insolente de cette oasis ponctuée de rochers grandioses, qui tira sa richesse de ses ressources en eau et de sa position stratégique sur la célèbre route de l’encens reliant le Sud et le Nord de l’Arabie. Parmi les découvertes les plus récentes et les plus spectaculaires, s’imposent ainsi ces monumentales statues en grès rouge des royaumes de Dadan et Lihyân (VIII-II siècles av. J.-C.) dont la facture semble hésiter entre le langage de l’Égypte pharaonique et les prémices de la sculpture grecque. Mais pour l’archéologue saoudien Abdulrahman Alsuhaibani, point de doute : « il existait bel et bien une école de sculpture locale pour répondre aux exigences de la population ». Si la tradition arabe véhiculait jusqu’à peu l’idée qu’il s’agissait de représentations divines, les archéologues saoudiens n’hésitent plus désormais à les interpréter comme des effigies de dédicants offertes aux dieux en témoignage de soumission. Signe incontestable d’une certaine « libération de la parole scientifique », pour reprendre les mots de Jack Lang, il est en outre désormais admis de souligner l’importance et la richesse spirituelles de ces civilisations antérieures à l’Islam…
« AlUla est un musée à ciel ouvert et nous ne fouillons véritablement le site que depuis dix-sept ans. Seuls 4 % de sa surface totale a été explorée. Chez nous, la terre archéologique est quasi vierge ! », se réjouit ainsi Abdulrahman Alsuhaibani, qui œuvre comme consultant auprès de la Commission royale pour AlUla et enseigne l’archéologie à l’Université King Saud.
L'autre clou de l’exposition n’est autre que l’évocation de la florissante cité nabatéenne d’Hégra, « la petite sœur de Pétra » comme la surnomme Laïla Nehmé, qui dirige en toute indépendance une mission scientifique sur le site depuis dix-sept ans, ouverte aux jeunes archéologues saoudiens, femmes comprises ! « Grâce à la sécheresse du climat, nous avons pu reconstituer l’ensemble du rituel funéraire nabatéen. Le matériel déposé dans les tombes (textiles, cuirs, cheveux, peau…) y est en effet merveilleusement conservé », explique ainsi l’épigraphiste française, dont l’enthousiasme le dispute à l’érudition. La découverte, la veille du dernier jour de l’une de ses campagnes de fouilles d’un tombeau quasi intact, caché derrière une dune, demeurera l’une de ses plus grandes émotions : il contenait vingt-sept corps conservés dans leur coffrage de bois ! Mais au-delà des perspectives financières et touristiques offertes par le site, l’autre « trésor » d’AlUla reste son immense réservoir d’inscriptions. Rédigées en dadanite, minéen, araméen, grec ou latin, ces dernières nous informent sur la diversité des alphabets préislamiques dans la région et attestent de l’existence d’une écriture dite « transitoire ». En d’autres termes, c’est à AlUla même que la graphie nabatéenne aurait donné naissance à la graphie arabe… Ce dont les Saoudiens ne sont pas peu fiers !
« AlUla, Merveille d’Arabie, l’oasis aux 7 000 ans d’histoire », jusqu’au 19 janvier 2020, Institut du monde arabe, 1 rue des Fossés Saint-Bernard, 75005 Paris. Catalogue Gallimard/IMA, 30 euros.