Avec une grande rétrospective au Met Breuer, à New York, l’année prochaine (4 mars-5 juillet 2020) et ses Marines exposées au Guggenheim Bilbao (jusqu’au 9 septembre), l’artiste allemand Gerhard Richter a de nouveau une actualité. Ce n’est guère surprenant : il est considéré comme le peintre vivant le plus important au monde et reste actif malgré ses 87 ans, bien que moins prolifique que par le passé. Son œuvre, qui couvre près de six décennies, a évolué au fil du temps, au fur et à mesure que Richter explore les multiples façons de représenter le monde qui l’entoure. Cela va des premières peintures floues en noir et blanc, qui interrogent la posture de l’Allemagne vis-à-vis de son histoire, aux paysages, portraits, nuanciers et à ses œuvres probablement les plus connues et les plus cotées : les toiles abstraites de grand format. Ces dernières sont devenues de véritables trophées – inoffensives, colorées, avec lesquelles il est facile de vivre au quotidien – et certainement un placement à part entière.
Les signes d'un marché solide
« Richter est l’un des piliers des ventes aux enchères londoniennes », déclare Alex Branczik, responsable de l’art contemporain chez Sotheby’s en Europe. « Et son taux de vente est globalement plus élevé que celui des autres artistes étant donné le volume. » En effet, l’analyse de l’équipe qui gère le site Web de Richter montre qu’en 2018, seulement 14% en valeur de ses œuvres offertes aux enchères ont été ravalés. Selon Katherine Arnold, coresponsable de l’art d’après guerre et contemporain chez Christie’s en Europe, son œuvre est très attrayante, « parce qu’il y en a pour tous les goûts – des premières œuvres photoréalistes aux peintures figuratives et abstraites – et pour tous les prix », explique-t-elle. De plus, le marché de Richter est mondial, affirme Cheyenne Westphal, présidente de Phillips : « Les acheteurs viennent du monde entier. Les Asiatiques s’intéressent beaucoup aux toiles abstraites. » Le milliardaire taïwanais de l’électronique Pierre Chen, dont la collection comprend également Francis Bacon, Thomas Struth et Cy Twombly, possède plusieurs pièces de dimensions importantes. La milliardaire brésilienne Lily Safra a acheté et donné un grand tableau abstrait au Musée d’Israël (Jérusalem) en 2012, tandis que le vétéran du rock Eric Clapton en a vendu trois entre 2012 et 2016, en faisant une marge considérable par rapport à leur prix d’achat.
Le record mondial des enchères pour Richter a été établi chez Sotheby’s à Londres en 2015 : Abstraktes Bild (1986) a dépassé son estimation de 14 à 20 millions de livres sterling, ayant été acquis au prix de 35,8 millions de livres (46,3 millions de dollars) par le financier de Chicago Ken Griffin. D’autres toiles abstraites, qui se sont vendues entre 28 et 34 millions de dollars, représentent neuf des dix prix les plus élevés pour l’artiste. Mais ils ont presque tous été atteints entre 2012 et 2017, et ces sommets n’ont plus été atteints. « Depuis 2016, nous avons vu moins de peintures abstraites, et si les œuvres offertes ne sont pas de la plus haute qualité, elles n’atteignent pas ces niveaux de prix extraordinaires. Le marché est sain, mais aussi sélectif », explique Cheyenne Westphal. Elle note que les tableaux abstraits sont de dimensions importantes, avançant qu’une surface constituée de couches visibles et brillantes, ainsi que des couleurs flamboyantes, rendent une œuvre beaucoup plus désirable. L’utilisation du rouge, presque inévitablement, tend aussi à augmenter la valeur.
les peintures abstraites de Gerhard Richter sont les œuvres les plus chères. Mais, pour les spécialistes des maisons de ventes aux enchères, les œuvres de la série Kerze [Bougies] sont le « saint Graal ».
En mars 2019, Phillips a vendu 15,5 millions de livres sterling (20 millions de dollars) la représentation d’un avion de chasse, Düsenjäger (1963), qui avait une histoire particulière – un garant chinois l’avait acquis 24 millions de dollars en 2015, mais avait fait défaut après l’achat. « Nous avons estimé l’œuvre de manière prudente, entre 10 et 15 millions de livres sterling, et avions quatre enchérisseurs très sérieux, signe d’un marché fort », souligne Cheyenne Westphal. Cependant, en 2018, un certain nombre d’échecs ont été enregistrés aux enchères, notamment celui de Schädel [Crâne], de 1983, qui n’a pas trouvé preneur à 11,5 millions de livres sterling (environ 15 millions de dollars) chez Christie’s à Londres. « Le sujet était peut-être un peu difficile et l’estimation sans doute élevée», invoque avec diplomatie Katherine Arnold.
Une gamme de prix étendue
À l’autre extrémité de l’échelle des prix, il y a les nombreux tirages à jet d’encre haute résolution produits par Richter, qui permettent aux acheteurs de commencer à collectionner à des prix raisonnables : moins de 1 000 dollars pour certains tirages offset de sujets populaires, tels que les Marines ou la série abstraite Victoria. De ces éditions aux tableaux valant plus de 20 millions de dollars, la gamme de prix est étendue. La Gagosian Gallery de Londres a récemment montré des œuvres du second marché : une série de photographies surpeintes de 1989 à 2016, proposées entre 80 000 et 100 000 dollars; le 16 mai, Christie’s a vendu un tableau abstrait de 1981 pour 915 000 dollars (frais inclus), sous son estimation de 800 000 à 1,2 million de dollars (hors frais). Les graphiques de ses prix établis par Art Market Research montrent la hausse incroyable de la valeur des tableaux de Richter depuis 2000 : une progression de 64 076 % depuis 1977, avec un taux de croissance annuel de 16,6%. Quant aux éditions, elles ont augmenté de 8,9% depuis 1985. Richter a dit lui-même à plusieurs reprises qu’il trouve les prix de ses œuvres excessifs : « Je suis surpris [par les prix records], même si c’est une bonne nouvelle. La somme, cependant, est quelque chose de choquant. C’est incompréhensible, aussi incompréhensible pour moi que le chinois ou la physique », a-t-il déclaré à Die Zeit en 2015.
Un marché bien organisé
Le travail de Richter est extrêmement bien documenté. Toutes ses œuvres sont numérotées depuis 1962, et sa base de données officielle (sur gerhard-richter.com) comprend des informations détaillées sur chaque œuvre, le lieu où celle-ci se trouve lorsqu’elle est accessible au public, ainsi que les prix des enchères. Les Archives Gerhard Richter ont été créées à Dresde en 2006, et l’artiste a lui-même publié deux catalogues raisonnés. « Les gens se sentent à l’aise lorsqu’ils achètent, parce que tout est soigneusement documenté et qu’ils peuvent analyser le marché pour l’œuvre particulière qu’ils convoitent », explique Cheyenne Westphal. De plus, Marian Goodman, la galeriste de longue date de Richter, gère les ventes avec habileté, ajoute la présidente de Phillips : « Par le passé, Anthony d’Offay et elle ont fait un excellent travail en plaçant des œuvres dans les collections des musées », dit-elle. En effet, environ 40% de la production totale de Richter appartient aujourd’hui à des musées.
les acheteurs doivent éviter quelques écueils: Richter n’a pas « officiellement » commencé à peindre avant 1962 et ne considère ainsi aucune œuvre réalisée avant 1961 comme faisant partie de son corpus.
Les peintures abstraites, comme nous l’avons vu, sont les œuvres les plus chères. Mais, pour les spécialistes des maisons de ventes aux enchères, celles de la série Kerze [Bougies] sont le «saint Graal», selon Katherine Arnold. Au début des années 1980, Richter a peint vingt-quatre tableaux représentant ces bougies blanches vacillantes, et aucune n’a été vendue à l’origine. Aujourd’hui, le prix le plus élevé pour l’une de ces peintures est de 10,5 millions de livres sterling (16,5 millions de dollars), un record atteint chez Christie’s à Londres en 2011 – et Cheyenne Westphal dit avoir entendu parler d’une vente privée à un prix supérieur. Les acheteurs doivent éviter quelques écueils : Richter n’a pas « officiellement » commencé à peindre avant 1962 et ne considère ainsi aucune œuvre réalisée avant 1961 – date à laquelle il a fui l’Allemagne de l’Est – comme faisant partie de son corpus. Il n’y a donc pas de marché pour les œuvres antérieures à 1961, rarement mises en vente. Les acheteurs doivent également « vérifier soigneusement l’état de conservation des œuvres les plus anciennes », comme le conseille Cheyenne Westphal. En effet, ces premiers travaux ont été peints sur des toiles de lin fin et peuvent avoir subi des dommages.