De sa formation en Design Interactions au Royal College of Art, à Londres, Marguerite Humeau a conservé un goût immodéré pour la spéculation. Chacune de ses œuvres repose sur la tentative d’élucidation d’un mystère et donne corps aux hypothèses nées des vastes enquêtes qu’elle mène préalablement auprès d’universitaires et de scientifiques. Avec pour ambition « de réactiver des mondes éteints, de révéler des présents parallèles ou d’animer des futurs “spéculés” », l’artiste explore ainsi les frontières entre l’histoire, les mythes, les sciences humaines, les sciences dures et la technologie, dans des installations où l’expérience physique du visiteur est, à ses yeux, centrale. Elle présente jusqu’au 19 octobre 2019 à la galerie Clearing, à Bruxelles, une exposition intitulée « MIST » [« Brouillard »], premier volet d’une importante recherche sur la naissance de la spiritualité animale à l’heure de l’extinction de masse. Son projet pour le prix Marcel Duchamp, HIGH TIDE [Déluge], en constitue le second volet.
Très marquée par Joseph Campbell (1904-1987), professeur de littérature spécialisé en mythologie comparée qui voyait en la prise de conscience de la mort la source des mythes et des religions, Humeau s’est intéressée aux travaux récents des éthologues sur la conscience des êtres non-humains. Ces dernières années, des études ont en effet été conduites sur le suicide chez les dauphins ou les baleines, les rituels de pleine lune chez les éléphants et les hippopotames, l’ingestion de champignons hallucinogènes chez les cerfs et les danses qu’elle provoque, ou le recueillement de chimpanzés devant des empilements de pierres conçus par leurs soins.
Avec HIGH TIDE, Humeau dévoile un monde où la disparition des espèces aurait atteint un point de non-retour, mais où, paradoxalement, ce point de non-retour marquerait aussi l’émergence chez les bêtes d’une protoreligion. Trois mammifères marins, en résine translucide et légèrement colorée, qui, étouffant dans l’atmosphère rendue irrespirable par l’homme, meurent et s’élèvent vers le ciel, mus par un désir collectif de transcendance. Au plafond figure la lune, sous la forme d’un grand rectangle empli d’une eau vibrant au gré de la force gravitationnelle. Enfin, une voix, créée de manière synthétique à partir d’enregistrements de chants d’animaux marins, sourd des murs. Alors HIGH TIDE symbolise une quête ultime : celle d’une synchronie à la fois entre les êtres et avec le monde céleste, à l’heure du réchauffement climatique et du bouleversement écologique.