Un musée en région, c’est comme le cinéma indépendant, estime Jean-François Bélisle, directeur du musée d’Art de Joliette (MAJ). Les deux œuvrent en périphérie de plus grands qu’eux, ce qui ne les empêche pas de se faire entendre. « Les musées en région ont un rôle important, dit-il. Je les compare souvent au monde du cinéma. Au-delà des blockbusters, il y a un appétit croissant pour des films indépendants à petit budget. Ils sont perçus comme quelque chose de plus honnête. Dans le monde des arts visuels, les musées en région peuvent en être l’équivalent. On ne peut pas se battre contre les gros musées des beaux-arts. Mais il y a un appétit pour nos productions. J’essaie de développer le MAJ dans ce sens-là.»
Située à 75 kilomètres de Montréal, la métropole du Québec, et à plus de 200 kilomètres de la ville de Québec, la capitale politique de la province, Joliette, est une municipalité de 20 000 âmes. Ce qui fait dire au directeur du seul musée d’art de la région de Lanaudière que le MAJ compte «plus de visiteurs annuels, 28 000, que Joliette de citoyens».
Fondé au milieu du XXe siècle sur les bases d’une congrégation – les Clercs de Saint-Viateur –, le musée d’Art de Joliette est l’un des attraits culturels d’une région animée par le secteur industriel. Uniquement dépassé en popularité par le Festival de Lanaudière, grand événement estival de musique classique, le MAJ commence à rayonner au-delà des frontières canadiennes. Une exposition maison consacrée à Shannon Bool, une artiste canadienne établie à Berlin, passe ce printemps par Paris (au Centre culturel canadien, jusqu’au 29 mars), avant d’être accueillie à l’automne en Allemagne, au Kunstverein Braunschweig, à Brunswick.
«Sans être des fans d’art, des gens nous aident financièrement, parce qu’ils veulent que leur trésor régional survive, grossisse», fait remarquer Jean-François Bélisle. Entre son statut de fierté locale et ses rêves de joueur international, le MAJ est emblématique des musées québécois régionaux qui se consacrent exclusivement à l’art contemporain.
L'incontournable touriste
Le Musée régional de Rimouski, le musée d’Art contemporain de Baie-Saint-Paul, le musée d’Art contemporain des Laurentides et même le musée des Beaux-Arts de Sherbrooke tentent de manière plus ou moins équivalente de s’attirer les regards. Dans ces villes phares de régions surtout réputées dans d’autres domaines, comme la recherche maritime à Rimouski ou la vie universitaire à Sherbrooke, promouvoir l’art relève presque d’un acte de foi. Y compris auprès des touristes.
En région, les activités de médiation culturelle sont indispensables. Pour se rapprocher des communautés locales et parce que, sans médiation, « même avec le meilleur programme, il ne se passe rien ».
Du «tourisme-étape», c’est à ce rôle que le Musée régional de Rimouski (MRR) est confiné, tant sa ville est un passage obligé pour les voyageurs en route vers la Gaspésie, véritable pôle vacancier. «Je ne peux pas construire ma programmation sur un tel tourisme, dit Francine Périnet, directrice du MRR. Un tourisme de juin à septembre, qui fait de Rimouski une étape, qui cherche le spectaculaire.» Alors pourquoi l’art contemporain, d’autant que le MRR se dédie aussi à la science et à l’histoire? «L’art contemporain, c’est le milieu dans lequel on vit. On ne vit pas que d’histoire, on vit d’actualité politique et sociale. L’art s’inscrit dans ce contexte.» Francine Périnet juge qu’en région, les activités de médiation culturelle sont indispensables. Pour se rapprocher des communautés locales et parce que, sans médiation, «même avec le meilleur programme, il ne se passe rien». Martin Ouellet, directeur du musée d’Art contemporain de Baie-Saint-Paul (MACBSP), doit composer avec une autre réalité. Car sa région, la très escarpée Charlevoix, est une destination en soi, hiver comme été, et même à l’automne, saison des couleurs. Il a pour but de détourner les regards des paysages naturels. «C’est la caractéristique d’être en région, de vivre du tourisme. Nous devons en être conscients et mettre nos efforts dans ce qui nous distingue», explique-t-il. Le trait distinctif du MACBSP, c’est le Symposium international d’art contemporain, fondé en 1982. La 36e édition de cet événement annuel a coïncidé avec un nouveau site, qui a permis de mettre de côté l’aréna de hockey qui servait de gîte jusqu’alors. Les artistes se trouvaient au centre, dans l’espace de la patinoire, et les visiteurs déambulaient parmi leurs espaces de travail. Avec bonheur : «On a affiché une croissance de fréquentation de 30%», se félicite Martin Ouellet.
Briser l'isolement
Le contexte de Rimouski, principale ville du Bas-Saint-Laurent, est caractéristique de la «nordicité» et des cycles saisonniers. L’isolement hivernal en est le corollaire. D’où l’importance, au MRR, de le contourner en favorisant le mélange des disciplines. Comme Joliette, Rimouski est une ville de musique. C’est ici qu’est né le premier festival de jazz du Québec – avant le désormais incontournable Festival international de jazz de Montréal. Le MRR, comme le MAJ, multiplie ainsi les collaborations avec la scène musicale. C’est grâce aux partenariats, y compris avec les institutions d’autres régions, que les musées de petite taille se développent, sans prendre d’importants risques financiers. Jean-François Bélisle, arrivé à la tête du MAJ alors que celui-ci venait de rénover son édifice, estime que son budget «modeste» n’atteindra jamais les six chiffres. Les 2,3 millions de dollars canadiens suffisent. Comme les films indépendants, les musées régionaux peuvent séduire sans organiser «des projets monstres», avance le directeur. Et d’ajouter : «Nous devons tracer notre voie, avec des projets différents. L’exposition qui voyage à Paris et en Allemagne, un grand musée ne l’aurait pas faite comme nous l’avons faite.»