En délaissant son ancien pavillon le long du canal (attribué à l’Irak) pour s’installer au cœur de l’Arsenale et en choisissant l’artiste Marco Godinho comme étendard, le Luxembourg opère cette année un double déplacement : un recentrage spatial vers le centre névralgique de la Biennale autant qu’une dérive géographique et mentale, à travers l’œuvre poétique et politique de l’artiste luxembourgeois d’origine portugaise, arrivé à 10 ans dans son pays d’accueil. Sélectionné parmi vingt dossiers par un jury composé notamment d’Emma Lavigne (directrice du Centre Pompidou-Metz), de Suzanne Cotter (directrice du musée d’Art moderne Grand-Duc Jean) et de Kevin Muhlen (directeur du Casino Luxembourg – Forum d’art contemporain), Marco Godinho se définit, en riant, comme un «artiste conceptuel romantique», qui questionne des enjeux lourds du monde contemporain à partir de dispositifs sophistiqués, cherchant «moins la beauté que l’intensité» à travers ses expériences.
Marco Godinho creuse son obsession pour le sort des migrants en méditerranée et pour l’imaginaire de la mer, qui charrie tant de récits enfouis.
Actif depuis quinze ans sur la scène artistique, remarqué notamment en France durant la Biennale de Lyon de 2017, «Mondes flottants», Marco Godinho cultive une certaine discrétion, préférant aux gestes vindicatifs ou hyperspectaculaires des formes plus évanescentes et secrètes, ancrées dans un imaginaire mêlant poésie et politique à parts égales. Le déplacement, la rêverie, l’errance, la dérive ou la frontière sont autant de motifs qui traversent son œuvre, inspirée de ses nombreuses lectures (Homère, Jorge Luis Borges, Jean-Christophe Bailly, Bruce Chatwin, James Joyce, Rainer Maria Rilke…) comme de sa propre expérience de citoyen du monde happé par le grand large. Avec son nouveau pro-jet Written by Water, présenté sur un plateau ouvert de 250 m2, sans murs, placé en face du Pavillon de Singapour, Marco Godinho creuse son obsession pour le sort des migrants en Méditerranée et pour l’imaginaire de la mer, qui charrie tant de récits enfouis. «Écrire avec de l’eau», «créer un langage», à par-tir de cahiers plongés dans la mer, pour faire place à une «narration liquide», «imperceptible dans sa forme, mais chargée de potentiel et de force évocatrice» : Marco Godinho entend faire de la mer «l’auteur» à part entière d’une œuvre mouvante et insaisissable. «Elle seule saura ce que contiennent réellement ces pages imbibées et ondulées.» Le pavillon, lui-même ouvert aux vents et aux déplacements des visiteurs, sera une sorte de cabane et de refuge pour les passants ordinaires, curieux de découvrir des poèmes écrits au fil des jours, des objets sculpturaux nés de tous les récits engloutis et des mémoires vives que l’eau abrite et protège. Conceptuel et roman-tique, le Luxembourg sera surtout une terre d’accueil de l’idée même du déplacement, du temps long, des flux et des flots.
« Written by Water », Pavillon du Luxembourg, Arsenale