Le Centre Pompidou-Metz consacre à l’artiste allemande une ambitieuse rétrospective, concomitante avec celle du musée Tinguely, à Bâle.
Mettre en évidence la filiation de l’oeuvre de Rebecca Horn, de ses débuts aux pièces les plus récentes, avec les artistes surréalistes qu’elle admire et collectionne. Tel est l’angle choisi par les commissaires de ce « Théâtre des métamorphoses », Alexandra Müller, chargée de recherche et d’exposition, et Emma Lavigne, directrice du Centre Pompidou-Metz. Une réussite, tant la confrontation s’avère pertinente et fructueuse au fil d’un parcours à l’accrochage impeccable. La « beauté convulsive » chère à André Breton est partout dans cet univers poétique et étrange, où l’on croise tour à tour Max Ernst, Alberto Giacometti, Man Ray, Marcel Duchamp, André Masson, Victor Brauner, Georges Bataille, Antonin Artaud, Claude Cahun, Raymond Roussel ou encore Meret Oppenheim, dont Rebecca Horn fut l’amie.
Le corps, sujet central d’une oeuvre existentielle
Née en 1944, la plasticienne a commencé par le body art et la performance dans les années 1970, développant des dispositifs complexes, d’abord autour de son propre corps, avant de donner naissance à d’inquiétantes machines mi-animal à plumes, mi-mécaniques. Ainsi de sa Machine de paon, à la roue menaçante et dotée de lances métalliques.
Son oeuvre oscille entre séduction et violence, humour et dimension dramatique, existentielle. Au-delà de ce bestiaire qui reste la marque de fabrique de Rebecca Horn, cette rétrospective a le mérite de montrer un pan moins démonstratif mais tout aussi fascinant de son travail. Et, ce faisant, l’influence sur ses recherches de la pensée et de l’oeuvre de certains artistes surréalistes, dont elle se révèle une digne héritière.
Nombre de traits communs avec ces illustres aînés caractérisent ses créations : sculptures à porter, appareillages fétichistes, mutations organiques, scénographies donnant au corps des allures d’automate. Ici, une femme licorne phallique (Einhorn) déambule dans la campagne. Là, la lauréate du Praemium Imperiale de sculpture en 2010 se transforme en créature ailée, équipée d’un ample Éventail corporel mécanique. Le corps est omniprésent, souvent contraint, engoncé, pris dans une camisole, réelle ou imaginaire. L’origine de cette obsession, qui est aussi une métaphore – comment se libérer d’un carcan ? –, est à chercher dans la vie de l’artiste, indissociable de son oeuvre, profondément autobiographique.
En 1967, à la suite d’une infection pulmonaire, Rebecca Horn doit passer de longs mois en sanatorium. Le corps, le sien et celui des autres, devient dès lors le sujet central de son oeuvre. Un corps le plus souvent en extension – auquel s’ajoutent des tentacules et autres prothèses fantasmagoriques –, qui lui vaudra d’être l’artiste la plus jeune invitée par Harald Szeemann à participer aux « mythologies individuelles » de la documenta 5, à Cassel, en 1972.
Dernière raison, si besoin était, de ne pas manquer cette exposition : la projection de trois longs métrages réalisés par cette grande admiratrice de Luis Buñuel et de Buster Keaton, qui eut en outre le fantasque Kenneth Anger pour professeur à la Hochschule für bildende Künste, l’École des beaux-arts de Hambourg. Au casting : Donald Sutherland, Géraldine Chaplin, plusieurs acteurs vus dans les films expérimentaux d’Andy Warhol. Mais aussi ses propres sculptures, filmées tels des personnages à part entière. À la frontière du rêve et de la réalité, faisant songer à ce propos de Man Ray : « Pour moi, il n’y a pas de différence entre le rêve et la réalité. Je ne sais jamais si ce que je fais est le produit du rêve ou de l’éveil. »
« Rebecca Horn. Théâtre des métamorphoses », 8 juin 2019-13 janvier 2020, Centre Pompidou-Metz, 1, parvis des Droits-de-l’Homme, 57000 Metz, centrepompidou-metz.fr
À voir aussi : « Rebecca Horn. Fantasmagories corporelles », 5 juin-22 septembre 2019, musée Tinguely, Paul Sacher-Anlage 2, CH-4002 Bâle, Suisse, tinguely.ch