C’est l’histoire d’un musée né d’une catastrophe. En 1985, Sprague Electric Company, l’un des principaux fabricants de transistors, de circuits et de pièces détachées de fusées, cessa son activité. Plus de trois mille employés se retrouvèrent sans travail, et le vaste campus de vingt-six bâtiments industriels fut désaffecté. Cette région rurale du nord-ouest du Massachusetts connaissait alors un taux de chômage de près de 20%. Le Massachusetts Museum of Contemporary Art (Mass MoCA), du moins l’idée d’origine, doit son existence à la vision de Thomas Krens, un conservateur qui enseignait non loin, au Williams College Museum of Art. Il dirigea un temps le musée de cette école avant de prendre la tête de la Solomon R. Guggenheim Foundation, à New York. Pendant qu’il était au Williams College, le bâtiment fut agrandi par l’architecte Charles Moore, mais le projet avait été tellement bâclé par un président d’université soucieux des coûts qu’il apparut trop petit dès son ouverture. Moore refusa d’assister à l’inaugura-tion, et Krens commença à rêver de ce tombeau vide de 75000 m2 situé à North Adams.
Expositions exceptionnelles et pluridisciplinarité
Le lancement du Mass MoCA s’accompagna d’une rénovation architecturale considérable et continue. Labyrinthique, le campus n’est cependant en rien incohérent. Quand Sprague Electric l’occupait, il fonctionnait comme un mécanisme d’horloge aux pièces complexes, différentes mais complémentaires. Pour le Mass MoCA, c’était à la fois un défi et une opportunité. Seules quelques galeries correspondaient aux boîtes blanches et épurées que nous nous attendons à trouver dans les musées d’art contemporain. La brique et le béton de ses murs étaient en grande partie apparents, donnant au site un aspect brut, dépouillé.
L’institution se distingue par le rôle que tiennent les arts du spectacle dans sa programmation. environ la moitié des ressources du musée est consacrée à la danse, au théâtre, au cinéma, à des concerts et festivals.
Au début des années 1980, tout le monde pensait que le musée devait devenir et deviendrait un musée d’art conventionnel. Il l’est devenu, mais seulement du point de vue des expositions temporaires. Celles-ci sont excellentes, comme dans beaucoup de musées, mais d’une ampleur inhabituelle. Chaque cycle thématique du musée peut comporter jusqu’à douze expositions de toutes sortes sur une même période. Ce musée ne collectionne pas, ce qui constitue une autre entorse à la norme institutionnelle. Il compte quelques installations pérennes, comme un ensemble de dessins muraux de Sol LeWitt, dont l’exposition est prévue pour une durée invraisemblable de quarante ans (jusqu’en2043). Seul le Mass MoCA avait l’espace suffisant et l’audace entrepreneuriale pour la réalisation d’un projet d’une telle envergure. Cette série ainsi que les œuvres de James Turrell, Jenny Holzer, Laurie Anderson ou Anselm Kiefer méritent à elles seules le déplacement.
Le Mass MoCA est une exception à un autre égard : il abrite trente-sept boutiques, générant des recettes annuelles de 50 millions de dollars. Les baux commerciaux représentent une part essentielle de l’apport financier du musée. Cette utilisation hybride de l’espace sera prise en compte – comme il se doit – lors des futures extensions du musée.
L’institution se distingue égale-ment par le rôle que tiennent les arts du spectacle dans sa programmation. Environ la moitié des ressources du musée est consacrée à la danse, au théâtre, au cinéma, à des concerts et festivals, lesquels attirent près d’un tiers des 300000 visiteurs annuels du lieu. Patti Smith, The Builder’s Association, Bill T. Jones et Basil Twist font partie des célébrités qui s’y sont produites. Peu de musées associent véritablement les arts de la scène aux arts visuels, alors que la majorité des grands artistes se passionnent pour la musique et le théâtre de leur temps. Cela a beau paraître évident, un programme aussi complet et conçu avec tant de naturel est rare. Ces événements génèrent des revenus grâce aux billets d’entrée, mais attirent également de riches donateurs du comté de Berkshire, qui possède une longue tradition de soutien aux arts de la scène (Tanglewood, Jacob’s Pillow, Williamstown Theatre Festival). Le musée a su tirer parti de la renommée établie du comté en la matière.
L’aventure d’une génération
Le Mass MoCA peut-il être copié ? L’un des ingrédients majeurs de sa réussite fut le milieu intellectuel du Williams College. Entre les années 1940 et les années 1990, cet établissement fut un moteur de l’histoire de l’art, davantage attaché aux plaisirs de la connaissance et de la contemplation, à la capacité illimitée de l’art à donner un sens aux choses, qu’à une formation élitiste. Les élèves du Williams College, investis dès le début dans le projet du Mass MoCA, avaient des professeurs qui rendaient l’histoire de l’art attrayante et amusante. Leur égalitarisme signifiait qu’ils considéraient le musée comme une expérience totale, ouverte à tous : immersive, accueillante et satisfaisant quasi-ment tous les goûts. De plus, les donateurs et administrateurs du Mass MoCA furent en grande partie amenés par le Williams College. Alors que le musée traversait une période critique, en 2007, ils répondirent présent, lui permettant de retrouver la stabilité financière dont il jouit aujourd’hui, avec un budget équilibré et 25 mil-lions de dollars de dons.
Le leadership est également important. La ténacité et l’intelligence politique de John Barrett, maire de North Adams de 1983 à 2007, furent essentielles. Plus ancien maire en fonction du Massachusetts, Barrett était rusé : il n’hésita pas à casser les nombreux œufs qui firent cette omelette gourmande. C’était un maître en politique mais aussi un homme audacieux et de conviction. Il ne connaissait presque rien à l’art contemporain, avait tendance à prendre les artistes pour des fous, mais était toujours favorable aux nouvelles idées proposées par des intellectuels un peu marginaux. L’homme providentiel fut Joe Thompson, l’un des fondateurs du musée, qui le dirige encore trente-deux ans plus tard. Certaines personnes ont besoin de consacrer leur vie à une cause. Pour Thompson, beaucoup de lundis matin commencèrent par une tasse de café et une interrogation : «Allons-nous faire faillite cette semaine?» Cet optimiste radieux n’est pas un fantaisiste, mais un homme qui voit l’avenir, qui aime ce qu’il voit et qui peut ramper sur du verre en fusion pour y parvenir. Qu’il aime prendre des risques et voue une passion aux idées nouvelles est un plus. «Le Mass MoCA est une aventure générationnelle, affirme Thompson. Quoi que les êtres humains les plus créatifs du monde puissent concevoir dans les vingt prochaines années, le Mass MoCA sera leur plateforme.»
Massachusetts Museum of Contemporary Art, 1040 Mass MoCA Way, North Adams, MA01247, États-Unis, massmoca.org