Comme dans bon nombre de ses expositions récentes (MoMA PS1 à New York, Raven Row à Londres, Kunsthalle de Vienne, Kunsthalle de Bâle), le duo fait de l’espace qui lui est alloué un musée d’un autre type, tout en s’intégrant dans l’ar-chitecture du lieu. À Venise, le Pavillon belge se mue – non sans risque, on en conviendra – en une sorte de musée folklorique. Pour les deux artistes, il s’agit d’«une ode à la tradition, nous poussant à comprendre le sens du terme tradition comme un manteau de sécurité dans lequel l’homme occupe une place centrale». L’installation produite pour Venise, Mondo Cane, tire son nom d’un film éponyme datant de 1962, dont le titre est devenu une expression italienne dotée de l’acception particulière de «documentaire sensationnaliste». Adepte d’un certain burlesque parfois tonitruant, le duo y cultive cet aspect faussement ethnologique.
Deux univers s’y affrontent. Le centre du pavillon est habité par le monde traditionnel d’antan, celui d’artisans vaquant à leurs occupations – cordonnier, tailleur de pierre, fileuse, etc., autant de stéréotypes d’une société aujourd’hui dépassée, mais non empreinte de nostalgie. Ils sont incarnés par des mannequins automatisés selon les dernières technologies.
Si le public est le bienvenu, celui-ci ne pourra cependant pas faire abstraction de ce qui se passe dans les espaces latéraux du bâti-ment, même s’il en est séparé par des grilles. Derrière celles-ci s’active un autre monde, celui des exclus, des damnés et des zombies, aux gestes maladroits et aux attitudes mécaniques. À la fois attiré et repoussé par les cris et les plaintes de ce monde souterrain mais bien vivant, le visiteur se retrouve dans une position de voyeur déstabilisé.
L’univers de Jos De Gruyter et Harald Thys lui renvoie l’image d’une société duale, où la ségrégation est palpable. La dimension burlesque de leur propos permet de maintenir les choses à distance, comme ces fous du roi utilisant la fable pour mieux dénoncer l’injustice d’un réel auquel on préfère ne pas être confronté de façon directe. La force visuelle et la puissance méta-phorique de leurs travaux en constituent une redoutable démonstration. Partie intégrante de leur propos, le site mondocane.net l’amplifie par des séquences plus désopilantes les unes que les autres, la réalité dépassant outrageusement la fiction dans un florilège de courts récits improbables. De même, le livre éponyme se présente comme une compilation de faits divers et d’événements absurdes, intégralement illustrés par les dessins des deux artistes.
«Mondo Cane», Pavillon belge, Giardini; livre Mondo Cane, édition multilingue publiée par le Fonds Mercator, 224 p., 35 euros.
Le commissariat du pavillon est assuré par Anne-Claire Schmitz, directrice de l’espace La Loge, à Bruxelles.