Paris. «Elle était bien là, tout autour de nous, la collection qu’il avait réunie pendant plus d’un demi-siècle. Les murs de l’entrée étaient tapissés de tableaux dont les cadres se touchaient presque. Une nature morte de Matisse, un Vuillard du début, des paysages de Bonnard et de Signac émergeaient de derrière un assortiment de sculptures africaines. […] Je me souviens d’un grand nu de Modigliani allongé au-dessus du piano droit comme pour mieux écouter la musique et des sculptures africaines accumulées sur le dessus de la cheminée et dans des vitrines.» Quel plus beau témoignage de l’éclectisme des goûts et de l’ouverture d’esprit de Félix Fénéon que cette description de son appartement de l’avenue de l’Opéra par le tout jeune historien de l’art John Rewald, lors de son passage à Paris en 1937 !
Le nom de Félix Fénéon demeure attaché à son implication sans faille dans la reconnaissance des arts africains et océaniens.
Un collectionneur engagé Infiniment moins célèbre auprès du grand public que ces autres «éclaireurs du regard» que furent Guillaume Apollinaire, Tristan Tzara ou André Breton, Félix Fénéon (1861-1944) cumulait cependant toutes les qualités d’un personnage romanesque. Tout à la fois journaliste, éditeur, critique littéraire, galeriste, anarchiste, séducteur et collectionneur, ce dandy libertaire fut un anticonformiste assumé dans l’apparence (Apollinaire le surnomma «le faux Yankee de la rue Richepance») comme dans les partis pris esthétiques (il fit venir à la galerie Bernheim-Jeune Pierre Bonnard et Édouard Vuillard et sut imposer avant l’heure des nouveaux talents parmi lesquels Henri Matisse, Kees van Dongen ou Amedeo Modigliani…).
Mais le nom de Félix Fénéon demeure attaché à son implication sans faille dans la reconnaissance des arts africains et océaniens, qu’il ,un siècle avant le manifeste de Jacques Kerchache et l’ouverture du pavillon des Sessions au Louvre, à être exposés aux côtés des plus belles expressions artistiques du génie européen. À contempler les quelques chefs-d’œuvre provenant de sa légendaire collection (dispersée les 11 et 13 juin 1947 à l’hôtel Drouot), on reste stupéfait par le caractère visionnaire de son regard.
D’une Poseuse de Georges Seurat à une figure de poulie à métier à tisser de Côte d’Ivoire, en passant par une effigie des Baga de Guinée, un seul critère s’imposait à son jugement : le Beau délesté de tout cloisonnement et de toute hiérarchie.
«Félix Fénéon (1861-1944). Les arts lointains», 28 mai-29 septembre 2019, musée du quai Branly-Jacques Chirac, 37, quai Branly, 75007 Paris, quaibranly.fr