Quel avant-goût souhaitez-vous donner à l’ouverture du MoCo en organisant un parcours des 100 artistes dans la ville ?
C’est une façon de marquer l’arrivée de Montpellier sur la scène internationale. Le périmètre de l’exposition est celui de l’institution : des abords de la gare, où se situe l’Hôtel des collections [dans l’Hôtel Montcalm], au centre historique, où se trouve la Panacée, et au quartier de l’école supérieure des beaux-arts. Nous avons travaillé avec un comité artistique comprenant le musée Fabre, l’opéra, le CNN [Centre chorégraphique national], Mécènes du Sud, le Frac Occitanie Montpellier, et bien sûr les équipes du MoCo. Cet été, c’est la plus grande exposition d’Europe à ciel ouvert, qui comprend certaines productions amenées à durer, comme la fresque de Bob et Roberta Smith ou le pavillon de Fabrice Hyber.
La Panacée accueillera au même moment un écho historique à cette manifestation.
En effet, c’est l’exposition de Hou Hanru, « La Rue », qui s’est tenue au Maxxi [Museo nazionale delle arti del XXI secolo] à Rome ce printemps et que nous avons adaptée : elle documente l’intervention des artistes dans la rue depuis les années 1960, tels Francis Alÿs ou David Hammons.
LES COLLECTIONS
Aviez-vous des modèles en France ou à l’étranger pour penser le MoCo ?
Pas vraiment. MoCo est l’acronyme de « Montpellier contemporain », un établissement public qui regroupe l’École supérieure des beaux-arts de Montpellier, la Panacée et l’Hôtel des collections. Le MoCo, c’est aussi l’Hôtel des collections, une institution unique, exclusivement dédiée à la question des collections, publiques ou privées, ce qui n’a de sens que dans cette chaîne inédite. L’ambition de Montpellier contemporain est géopolitique : la constitution d’un territoire mental et institutionnel qui offrirait un nouvel espace aux artistes. La pensée par mégapoles est finie, je crois aux territoires étendus. De Marseille à Sérignan, ce territoire peut devenir une Californie française, un aimant pour les artistes.
Il y aura aussi un aspect de recherche sur les collections : ce filtre de lecture de l’art a-t-il selon vous une actualité particulière ?
Nous allons créer un centre international de recherche, animé par Nathalie Moureau et adossé à l’université Paul-Valéry, qui développera des points de vue historique, esthétique, économique, scientifique. Il n’y a jamais eu autant de collectionneurs qu’aujourd’hui, et donc jamais autant d’œuvres soustraites à l’appréciation publique. Nous voulons les dévoiler, et porter un regard sur ces ensembles.
La première exposition [29 juin-29 septembre 2019] portera sur la collection Ishikawa, à la fois internationale et ancrée dans la culture japonaise depuis 2011. La deuxième sera consacrée à une collection publique nationale : la collection Tsaritsyno, une antenne de la galerie Tretiakov située au sud de Moscou, qui réunit d’importants artistes soviétiques actifs depuis les années 1980.
Comment la figure du commissaire d’exposition et celle du collectionneur se croisent-elles aujourd’hui ?
Par la notion de choix, qu’il est urgent de mettre en valeur dans la production de notre époque. Sans quoi, il ne restera plus que les critères du marché, c’est-à-dire d’un très petit nombre d’acteurs.
Dans le jardin du MoCo, Bertrand Lavier va revenir à ses premières amours, liées à l’horticulture. Vous a-t-il été difficile de le convaincre ?
Pas du tout ! Depuis qu’il a quitté l’École nationale supérieure d’horticulture de Versailles, où il a réalisé l’une de ses premières œuvres, une ligne de feuilles peintes en blanc, il n’avait jamais voulu réaborder cette question. Aujourd’hui, c’est le bon moment. Il va composer un atlas botanique avec Gilles Clément, une mappemonde en forme d’herbier. Ce jardin sera divisé en cinq bandes obliques, portant chacune la flore d’un continent.
LA PANACÉE
Quelles seront les grandes lignes de la programmation de la Panacée ?
Il y aura des artistes confirmés à l’Hôtel des collections et des artistes émergents à la Panacée. Par exemple, cet automne, seront présentés trois solo shows d’artistes femmes : Caroline Achaintre, Ambera Wellmann et Astrid Lutz (qui vit entre Mexico et Marseille). Leurs travaux ont un caractère assez pictural… Leurs œuvres sont très différentes, mais chacune nous intéresse par sa capacité à questionner les frontières de l’image. Il est à mes yeux logique de montrer Ambera Wellmann après Tala Madani, l’autre grande peintre du moment. Les recherches d’Astrid Lutz peuvent s’assimiler à de la peinture, bien que par des voies complexes. Celles de Caroline Achaintre un peu moins, même si elle travaille la tapisserie comme des tableaux.
Comment avez-vous constitué vos équipes ?
L’équipe curatoriale est très forte : Vincent Honoré vient de la Hayward Gallery à Londres ; Anja Harrison était indépendante, à Londres également ; Anna Kerekes était à Montréal ; Victor Secrétan vient du musée d’Orsay et de celui de l’Orangerie ; Jacqueline Cock était à New York ; quant à Pauline Faure et Caroline Chabrand, elles étaient déjà à Montpellier. Je leur dis souvent qu’ils ne sont pas des architectes, mais des urbanistes : il est rare de pouvoir s’inscrire dans un projet qui va transformer un territoire - à Paris, c’est devenu impossible.
L’ÉCOLE
À Montpellier, vous semblez réaliser le projet que vous aviez pour l’École nationale supérieure des beaux-arts de Paris.
Exactement, mais c’est ici que j’ai trouvé le soutien politique de la métropole, et des équipes ouvertes à cette expérience un peu folle : les écoles d’art doivent être mieux connectées aux centres d’art et aux musées. Le premier étage de la Panacée est une résidence étudiante d’une cinquantaine de studios, dont la moitié sont occupés par des étudiants de l’école. De la 2e à la 5e année, leur cursus leur donne accès, à divers titres, au MoCo, à la Panacée et à l’Hôtel des collections, et ils bénéficient d’interventions de tous les artistes avec lesquels nous travaillons.
La présence d’artistes intervenants plutôt que de professeurs attitrés rappelle l’Institut des hautes études en arts plastiques de Pontus Hultén [créé en 1988 à Paris].
Oui, nous avons une équipe d’encadrement dynamique : Pierre Joseph, Carmelo Zagari, Yann Mazeas… Mais le prestige vient des projets que nous réalisons. Nous avons créé un post-diplôme, « Saison 6 », qui s’adosse aux grandes biennales internationales : Kochi, Venise et Istanbul. Les artistes travaillent pour ces biennales et montent un projet à Montpellier.
ISTANBUL
Travailler en Turquie, est-ce difficile ?
C’est stimulant : on pense toujours que les choses vont de soi ; mais, dans ce pays, rien ne va de soi. La Biennale d’Istanbul est une ONG dans une position de résistance forte au gouvernement. Cela étant, à Istanbul même, sauf dans certains quartiers, la question de la censure est peu présente.
Quelles seront les grandes lignes de la prochaine Biennale d’Istanbul, dont vous êtes le commissaire ?
Elle s’intitule « Le 7e continent », un terme qui désigne une île formée par des déchets plastiques au milieu de l’océan Pacifique, un espace visible d’avion, symbole de l’époque contemporaine. J’ai lié cette image à ma certitude qu’une nouvelle génération d’artistes s’intéresse particulièrement à l’anthropologie. L’idée est de leur proposer de faire l’anthropologie de ce nouveau continent, d’un point de vue à la fois humain, animal, végétal et machinique. La promiscuité qui existe aujourd’hui entre les règnes apparaît dans cette image. Depuis les années 1980, la globalisation était le sujet majeur. Aujourd’hui, c’est l’anthropocène, que ce 7e continent personnifie.
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Ouverture le 29 juin 2019, moco.art