À Paris Internationale, dans un ancien immeuble bourgeois sur le point d’être réhabilité et dont le jardin donnait sur le parc Monceau, la galerie Crèvecœur avait pris possession d’une cuisine un peu désuète, illuminée par les tableaux de Sol Calero : des fruits et encore des fruits, brossés à grands coups de pinceau dans des teintes vives, sur des fonds colorés. Pour décrire son travail, les critiques d’art parlent souvent d’exotisme. Et c’était justifié, à l’origine de ses recherches. « Mais, aujourd’hui, je m’intéresse surtout à la position de l’immigrant », explique Sol Calero. Selon elle, ces pastèques et ces bananes sont moins là pour évoquer des contrées lointaines que pour dire l’absurdité de nos habitudes de consommation qui consistent à manger des fraises en hiver et des mangues en Norvège. À l’encontre des idées reçues, Sol Calero a voulu comprendre sa propre position de Vénézuélienne installée à Berlin depuis quelques années.
Cadrer des points de vue
Lorsqu’elle est arrivée aux Pays-Bas, parce que la situation politique commençait à se tendre au Venezuela et que ses parents l’ont envoyée en Europe chez des oncles lointains, Sol Calero ne connaissait rien de l’histoire de l’art. C’est au Stedelijk Museum, à Amsterdam, qu’elle a découvert Henri Matisse, Vincent Van Gogh, Francesco Clemente, qui l’ont durablement marquée. Ce sont ces tableaux qui l’ont décidée à entreprendre des études d’art aux Canaries, où une autre partie de sa famille, du côté de son père espagnol, l’a accueillie par la suite. Au cours des années suivantes, plusieurs bourses de recherche l’ont conduite à Barcelone, à Manchester, à Madrid et à Berlin. Arrivée en Europe pour des vacances, elle s’y est finalement installée.
Même si c’est de la peinture que vient tout son travail, Sol Calero se définit davantage comme artiste que comme peintre. Les points de vue et la composition de ses images sont pour elle essentiels. Mais ses toiles sont toujours inscrites dans l’espace, avec un lien fort à l’architecture, tels des souvenirs des grandes installations dans lesquelles elle les accroche. Elle définit son trait comme intuitif et, prenant ses sources dans l’art abstrait, sans esquisse ni dessin préparatoire. Les fonds sont composés d’aplats colorés. Pour son exposition personnelle à la galerie Crèvecœur, elle a, par exemple, peint les murs de couleurs vives, et réalisé un dessin mural sur des poutres qui dessinent l’espace et donnent l’impression d’un grand portail jaune encadrant toute l’exposition.
Souvent, justement, ses tableaux sont entourés d’un cadre peint à même la toile, ou fabriqué en carreaux de mosaïque collés sur le bord du châssis. Sol Calero raconte que ce sont des motifs inspirés de frises architecturales en brique visibles un peu partout dans la Caraïbe – et que l’on retrouve dans l’exposition « Géométries Sud » qui se tient actuellement à la Fondation Cartier, à Paris. L’architecture est pour elle une source d’inspiration importante. Cadrer une image, c’est aussi saisir une vue, comme une carte postale. Le fait de dessiner un cadre n’est pas seulement un motif décoratif, mais une façon de réfléchir aux regards que l’on porte sur le monde en fonction de son histoire et de ses origines.
Des objets syncrétiques
Sol Calero a été élevée par une grand-mère fantasque qui collectionnait les ex-voto. « À vrai dire, elle les volait surtout dans les églises ! » raconte-t-elle. « Il y avait chez elle quelque chose d’un peu étrange à vouloir apprendre très sérieusement la religion aux enfants, et en même temps à se moquer de tout.» En souvenir de ces objets avec lesquels elle a grandi, Sol Calero a réalisé de grandes sculptures qui reprennent les formes et les techniques des ex-voto : des yeux, des pieds, des mains ornés de fragments de miroir, et des plaques en métal brossé qui montrent des saynètes de la vie quotidienne.
Plus récemment, elle a entrepris un voyage au Pérou grâce à une bourse d’études. Cette découverte d’un pays d’Amérique du Sud qu’elle ne connaissait pas lui a permis d’engager un nouveau tournant dans son travail. Elle s’est intéressée à la peinture « baroque » des Andes à l’époque coloniale. Ces recherches lui ont considérablement fait modifier sa palette, à présent beaucoup plus brune, comme les céramiques traditionnelles, ou comme la peau des Indiens, dit-elle encore. Des paysages sont apparus dans ses compositions, telles des citations de ces anciens tableaux. Chez elle, pas de cynisme ni d’ironie : ces objets sont des constructions syncrétiques – avec peut-être une touche de romantisme.
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« Sol Calero. Milagritos y Frutas », 12 octobre - 22 décembre 2018, galerie Crèvecœur, 9, rue des Cascades, 75020 Paris.