Avec leurs profils complémentaires, l’une devenue historienne de la photographie et l’autre toujours à la recherche de nouveaux photographes dans le monde entier, ils avaient déjà travaillé ensemble à l’agence Magnum dans les années1990. Agnès Sire, à l’origine de la Fondation Henri Cartier-Bresson en 2003, a été rejointe par François Hébel, ancien directeur de nombreuses structures comme Magnum Photo, les Rencontres d’Arles, Foto/Industria à Bologne et le Mois de la Photo du Grand Paris.
La question se pose souvent : lorsqu’un tel lieu évolue, comment faire durer son esprit au-delà de l’existence de son fondateur ? « C’est très difficile. Je revois Henri Cartier-Bresson avec des moines bouddhistes en train de faire une cérémonie pour protéger la Fondation. Il ne faut pas que ça devienne trop clinique », explique Agnès Sire. « Nous avons deux casquettes: les expositions, qui sont la partie émergée de nos activités, et le travail moins visible de défense des œuvres respectives d’Henri Cartier-Bresson et de Martine Franck. La Fondation, c’est un acte de générosité et d’ouverture à l’égard d’autres artistes. »
Un lieu performant
Rue des Archives, les capacités d’exposition ont doublé. Et elles tripleront lorsque les fonds seront réunis pour aménager une cave acquise au cours du chantier. Cela permet d’ouvrir la programmation à de grands formats qu’il était impossible de montrer dans les anciens espaces, plus restreints, où Agnès Sire avait pris l’habitude de déployer des trésors d’ingéniosité en proposant, par exemple, une remarquable exposition des rares petits formats de Jeff Wall. Ce lieu simple a été aménagé de la façon la plus performante, afin de préserver ce patrimoine et de renforcer le rayonnement international de la Fondation : des espaces de conservation des tirages et des négatifs, une bibliothèque, des salles d’archives. Pour le public, une salle de conférences et un espace pédagogique complètent cet équipement. Il n’y aura pas de café mais une vaste librairie spécialisée. La nouvelle Fondation Henri Cartier-Bresson est un lieu concentré.
Ce déménagement dans le Marais la rapproche de plusieurs institutions importantes : la galerie photographique du Centre Pompidou, la Maison européenne de la photographie, le musée Carnavalet. C’est pour s’ouvrir vers de nouveaux visiteurs que François Hébel a imaginé une vitrine sur la rue des Archives, comme un petit théâtre. La partie accessible au public, aménagée par l’agence Novo dans des tons de blanc, d’Inox et de béton poli, est organisée au rez-de-chaussée autour de deux cours. Après l’entrée, une salle sera en permanence consacrée à l’œuvre d’Henri Cartier-Bresson sous la forme d’affiches produites spécialement. Cet espace s’intitulera « la perle des Archives », clin d’œil aux grossistes en perles qui entourent la Fondation.
Une programmation ouverte
L’œuvre de Martine Franck ouvrira le programme comme un élégant manifeste. « Au début, elle ne voulait pas que ses photographies soient visibles à la Fondation. Même l’œuvre d’Henri Cartier-Bresson y a été très peu montrée », souligne Agnès Sire. Le principe de cette exposition a mûri progressivement ; le choix des images a été fait entre Agnès Sire et Martine Franck qui savait sa fin proche. Dans le contexte politique actuel, l’œuvre de Martine Franck, qui a toujours prêté attention aux causes féministes, prend une coloration particulière. « Elle a dû franchir plusieurs frontières, à commencer par celle de sa famille. Elle voulait être conservateur de musée. Puis, en 1958, elle a fait un voyage décisif jusqu’en Chine, en Afghanistan et au Pakistan, avec Ariane Mnouchkine. Au Japon, elle a acheté un appareil photo et commencé à photographier. » On considère souvent que Martine Franck travaillait dans l’ombre de son mari. « Mais cette impression est fausse. Il y a dans son travail une sincérité, une grâce, un sens du cadre très précis », ajoute Agnès Sire. « Quand elle a connu Cartier-Bresson, il ne faisait plus de photographie. Il s’intéressait surtout à la littérature et à la peinture. Il a tout fait pour qu’elle parvienne à s’exprimer en photographie. »
Après l’exposition de Martine Franck, la Fondation exposera le Sud-Africain Guy Tillim, lauréat du prix Henri Cartier-Bresson 2017, soutenu par la Fondation Hermès. Il y aura ensuite la (re)découverte de Wright Morris (1910-1998), écrivain et photographe américain auteur du livre The Inhabitants, montré en France pour la première fois ; et une relecture, avec l’historien Michel Frizot, du livre d’Henri Cartier-Bresson D’une Chine à l’autre, que Jean-Paul Sartre avait préfacé. La Fondation poursuit sa programmation singulière et exigeante : de nombreuses mono- graphies de photographes à l’œuvre déjà très aboutie. Comme le souligne François Hébel, « le jeunisme en photographie n’a pas de sens. Pour avoir quelque chose à dire, il faut du temps et une construction. Aujourd’hui, la photographie se trouve dans un moment d’évolution. Il y a beaucoup d’expositions de commissaires. Or, la Fondation s’est toujours concentrée sur les auteurs. L’important est de s’interroger sur les questions que pose un photographe. »
Fondation Henri Cartier-Bresson, henricartierbresson.org, 79, rue des Archives, 75003 Paris, ouverture le 16 novembre.