C’est lors d'un un entretien avec le journal The Guardian que l’architecte du Louvre Abou Dhabi, Jean Nouvel, a déclaré que les conditions de travail des ouvriers sur l’île de Saadiyat (située au large de la ville d'Abou Dhabi et qui fait l'objet d'un grand programme d'aménagement) étaient bien meilleures qu’en Europe, ajoutant ensuite que l’exploitation était « appartenait au passé ». Ces propos ont ravivé une ancienne polémique autour des droits des travailleurs sur le chantier du musée.
Établi en 2007 par le biais d’un contrat intergouvernemental d’une durée de trente ans et d’une valeur de 10 milliards d’euros entre la France et les Émirats arabes unis, le Louvre Abou Dhabi est souvent présenté comme le « premier musée universel » du monde arabe promouvant un échange culturel fondé sur la tolérance. Or, l’institution – la première du quartier culturel de Saadiyat a avoir été achevée – a été très critiquée par les militants pour les droits de l’homme, qui soutiennent que ses travailleurs ont été exploités sur le chantier.
La construction de l’ensemble des musées sur l’île de Saadiyat – parmi lesquels figurent le Guggenheim Abu Dhabi et le Zayed National Museum – est supervisée par la “par la TDIC (Tourism Development & Investment Company), placée, à son tour, sous l’égide du gouvernement des Émirats. Un porte-parole de l’Agence France-Musée (l’entité qui conseille le Louvre Abou Dhabi sur ses acquisitions et sa muséographie et qui s’occupe aussi de la coordination des prêts concédés par les musées français) a expliqué que l’institution a maintenu un dialogue constructif avec la TDIC autour des droits de ses travailleurs. Il a également ajouté que «leur cadre contractuel prenait en considération les questions de responsabilité sociale ».
La TDIC a affirmé que « la protection des droits des travailleurs » et leur bien-être « ont toujours fait partie de [ses] priorités essentielles ». La firme a en outre indiqué l’excellente qualité du Saadiyat Accommodation Village (le complexe d’appartements où étaient hébergés les travailleurs), ainsi que celle des Pratiques et des politiques d’emploi (Employment Practices Policy ou EPP). En 2011, la TDIC a sollicité les services de Pricewaterhouse Coopers (PwC), un réseau d’entreprises spécialisées dans des missions d’audit et de conseil, afin de surveiller la mise en place de ses politiques d’emploi.
La compagnie a publié quatre rapports annuels basés sur des milliers d’interviews avec des employés, entrepreneurs et sous-traitants du Louvre Abou Dhabi et d’autres sites de l’île de Saadiyat. Le rapport témoigne des efforts de la compagnie pour aborder l’exploitation de la main-d’œuvre – un problème endémique dans le Golfe – sous toutes ses variantes : rétention des passeports des travailleurs, employés devant payer les frais de leur propre recrutement et de leur relocalisation, retard ou suppression des salaires…
Publiée en janvier 2016, l’enquête la plus récente de PwC porte sur l’année 2015. Celle-ci note des améliorations à plusieurs niveaux (une réglementation renforcée, un remboursement des frais de recrutement et de relocalisation) et attire l’attention sur le manque de personnel de la TDIC et sa pénalisation insuffisante ou contradictoire lorsque des transgressions sont commises.
Les rapports « valident ce que les organisations des droits de l’homme soutiennent depuis des années », souligne Sarah Leah Whitson, directrice exécutive de la division du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord de la Human Rights Watch (une ONGI ayant pour mission la défense des droits de l’homme et le respect de la Déclaration universelle des droits de l’homme). Le rapport de l’organisation, en 2006, sur les abus des travailleurs aux Émirats arabes unis a mené le gouvernement à entreprendre une série de réformes. Mais malgré des progrès notables sur le plan législatif, le respect des règles laisse encore à désirer dans un pays où le salaire minimum n’existe pas et où les syndicats sont illégaux, explique Sarah Leah Whitson. Le prochain et dernier rapport du PwC sera publié début décembre et portera sur les années 2016 et 2017, selon la TDIC. La Gulf Labor Artist Coalition s’engage à analyser de près ses résultats et précise que son « boycott des institutions culturelles de l’île de Saadiyat reste en place ».
Sarah Leah Whitson signale que la fin de la construction du musée ne l’exempte pas de poursuivre son engagement auprès des travailleurs migrants : « Nous demandons au Louvre de s'assurer que les salariés permanents bénéficient des mêmes protections que celles qu’il souhaitaient accorder aux ouvriers. »